Après une première expérience en 2019, les groupes Kitshickers et The Majestic Unicorns from Hell plongent à nouveau, ce soir, le public dans «une mer de sons», en cassant l’espace scénique pour une immersion totale. Découverte.
En octobre 2019, Kitshickers et The Majestic Unicorns from Hell officialisaient leur longue amitié avec une chanson commune et surtout, un concert hors norme en quadriphonie : soit pas moins de deux batteries, cinq guitares, deux basses et de nombreux invités, éparpillés sur cinq scènes s’allumant, comme dans un ping-pong, au gré des intervenants. Au milieu, le public, libéré de l’habituelle contrainte frontale, pouvait alors se laisser aller à la déambulation. Un joli concept qui, comme tant d’autres, sera freiné dans son élan par la pandémie, six mois plus tard.
Qu’à cela ne tienne! Le monstre à deux têtes remet ça ce soir, toujours chez son hôte favori, a qui il dédie d’ailleurs son nouvel opus, 49.5041°N, 5.9879°E (soit les coordonnées GPS de la Kulturfabrik). En l’occurrence une longue chanson d’une trentaine de minutes, coupée en quatre parties, accompagnée de deux clips tout aussi opulents. Même s’il ne veut pas trop en dire, pour ne pas dévoiler la surprise, Gilles Heinisch, 42 ans, membre de Kitshickers, raconte les coulisses de cette démesure. Avec cette envie, chevillée à la guitare : celle de changer de perspective. Entretien.
Comment les deux groupes se sont-ils rapprochés?
Gilles Heinisch : Déjà, la scène metal est petite au Luxembourg. Tout le monde se connaît! À partir de là, on s’est souvent retrouvés en concert ensemble. Comme on s’entendait bien, on est alors partis en tournée entre la France, l’Angleterre, l’Allemagne et les Pays-Bas. Quand on est à neuf dans un van, il y a des choses qui se passent… De là est née cette envie de faire un truc tous ensemble, et pas seulement chacun de son côté.
Dans sa musique, Kitshickers est d’humeur atmosphérique, et TMUFH plus nerveuse. Comment mélange-t-on deux telles orientations?
C’est vrai, on n’a pas le même style, mais ils peuvent être complémentaires. C’est comme en peinture : vous prenez deux couleurs pour en obtenir une troisième! Et puis, au fil du temps, à force de se fréquenter, il y a eu des allers-retours. Disons que les uns ont influencé les autres. Et inversement!
Comment cette idée de concert sur cinq scènes, avec neuf musiciens, vous est-elle venue?
Elle traînait dans ma tête depuis pas mal de temps. À côté de la musique, je fais des massages sonores, avec notamment des bols chantants. Ce côté mise en ambiance me plaît beaucoup. Alors pourquoi ne pas l’appliquer en concert? Que les spectateurs vivent la musique, se baladent, regardent à droite et à gauche… Que le live soit une expérience!
Redéfinir les sensations, en somme…
Oui. Avec Kitshickers, notre basse et nos trois guitares, on avait déjà l’habitude de saisir l’audience. D’ailleurs, parmi les réactions que l’on entend souvent, il y a ce terme de « mur de sons » qui revient. De là, on s’est dit qu’on pourrait faire encore plus, jouer avec les sensations, mais pas forcément de manière frontale. En somme, mettre le public à la même hauteur que les musiciens, et le plonger dans une sorte de « mer de sons ».
Il y a un côté théâtral derrière tout ça, non?
C’est vrai. Ce côté créatif, on le trouve plus facilement au cinéma ou au théâtre, mais rarement à un concert metal! Pourtant, cette approche pluridisciplinaire est très riche. C’est d’ailleurs quelque chose qui ne m’a jamais quitté. Il y a 15 ans, au Kinosch, on avait déjà fait un « silent show » : le public avait des écouteurs sur les oreilles et une projection sur grand écran. Et nous, on jouait en se faisant le plus discret possible (il rit). C’était très novateur pour l’époque! Idem pour des concerts plus « modestes » : on a toujours travaillé avec des lumières et des projections, même dans le plus petit café du Luxembourg! Ça n’a rien de révolutionnaire, mais question dynamique, ça apporte beaucoup!
Pourquoi le public devrait absolument voir ma tronche?
Pourquoi vouloir casser la scène, et la redéfinir?
Déjà, en tant que spectateur, je m’ennuie vite. Un chanteur qui fait toujours la même chose, au bout de deux chansons, j’ai compris et je sors! Et puis, avec mes camarades de jeu, on aime rester dans l’ombre, disparaître, quitter le premier rang. Oui, pourquoi le public devrait absolument voir ma tronche? Je préfère qu’il ressente la musique dans tout son corps.
Quelles ont été les réactions en 2019?
Honnêtement, on ne savait pas à quoi s’attendre. On était tous hyper nerveux, pour différents raisons : d’abord, c’était notre premier morceau ensemble, à neuf musiciens. Ensuite, c’était la première fois au Luxembourg qu’un groupe metal proposait un concert en quadriphonie. On se demandait si ça allait fonctionner, d’un point de vue artistique et technique.
Et finalement?
Ça a bien fonctionné sur le deux niveaux. On a eu principalement deux types de réactions. Des gens nous ont dit : « j’ai fait mille concerts, et franchement, j’ai rarement entendu un son aussi bon ». D’autres ont comparé ça à une visite dans un musée : on se promène d’un tableau à un autre, en toute liberté. C’était génial d’entendre ça! Car il y a beaucoup de boulot derrière une telle proposition. Autant que ce soit bien réalisé… et apprécié!
Est-ce important, en tant que musicien, de se mettre régulièrement en cause?
Selon moi, c’est essentiel. Avec Kitshickers, on place souvent la barre très haut! Ça nous oblige toujours à nous surpasser, surtout quand en face de vous, vous avez un public de connaisseurs. Il s’agit alors d’être à la hauteur.
Vendredi (NDLR : ce soir), vous allez encore plus loin. Il y a d’abord ce nouveau morceau commun, long de 30 minutes, que vous allez dévoiler en live. Comment aborde-t-on, justement, un telle œuvre collective?
Jouer un tel morceau, ça n’est pas un problème : on a une semaine de résidence ensemble pour le peaufiner. Par contre, l’écrire, c’est autre chose (il rit). On est dans une sorte de brouhaha permanent! Mais quand ça prend forme, c’est du bonheur! C’est finalement comme une grosse vague : chacun a son mot à dire, même si les influences se mélangent. C’est un chouette amalgame.
Il y a ensuite ces deux courts métrages, enregistrés pour l’occasion…
On a filmé ça du côté du CNA. C’est quelque chose, disons, d’assez binaire. Du noir, du blanc, de l’abstrait, du concret… Parfois, je me disais : « mais qu’est-ce que tu as écrit! » (il rit). Mais on s’est bien amusés. On a même fait sauter l’acteur (NDLR : Nickel Bösenberg) de cinq mètres! Non, on ne fait jamais les choses à moitié.
Grégory Cimatti
Kulturfabrik – Esch-sur-Alzette.
Ce soir à partir de 20 h 30.