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[Musique] Quand la musique ravive les mœurs


De Walking on Sunshine à Back to Black : les chansons à succès sont devenues plus négatives depuis les années 1970. (photo : afp)

En cinquante ans, les tubes des charts américains sont devenus plus «négatifs» et «simplistes». C’est ce qu’explique une étude s’intéressant aux réactions des artistes et des auditeurs aux événements majeurs de l’Histoire.

Paroles, paroles, paroles… Entre 1973 et 2023, les tubes de l’industrie musicale américaine sont devenus plus négatifs en termes de paroles et de tonalité, selon une étude s’intéressant aux réactions des artistes et des auditeurs aux événements majeurs de l’Histoire. En 1973, I Wanna Know Your Name, une ballade romantique des Intruders, s’approche ainsi le plus des standards de l’époque, avec «un faible niveau de langage lié au stress et une complexité lyrique relativement élevée», explique Mauricio Martins, membre de l’université de Vienne et auteur principal de l’étude publiée jeudi dans Scientific Reports.

On observe une augmentation du stress, de la négativité, ainsi qu’une tendance générale vers des paroles plus simples

À l’inverse, le hit de 2023, Suicide Doors de Lil Uzi Vert, où le rappeur expose les conflits internes nés de son succès, pourrait illustrer notre époque. «Ces deux chansons seules ne peuvent pas définir 1973 ou 2023, mais elles illustrent bien l’image générale que nous avons pu dégager : une augmentation du stress, de la négativité, ainsi qu’une tendance générale vers des paroles plus simples», ajoute encore l’universitaire. Bonheur, stress, anxiété, sérénité… Les raisons pour lesquelles nous écoutons de la musique sont multiples et variées, comme les styles musicaux à disposition, que ce soit pour coller à notre état d’esprit ou au contraire pour s’échapper du quotidien.

Dictionnaire du stress

Pour mener leur étude, les chercheurs ont analysé les 100 chansons les plus écoutées aux États-Unis chaque semaine entre 1973 et 2023, en se basant sur les données du Billboard (équivalent américain du Top 50), qui recense environ 260 000 chansons par semaine. Le panel des chansons les plus écoutées représentait 22 000 titres. Les chercheurs ne se sont pas contentés d’analyser les mots et expressions employés dans les chansons, ils ont également étudié la construction de ces paroles et leur tonalité (joyeuse, triste…). «Alors que la composante musicale des tubes peut être ambiguë et complexe à analyser, celles lyriques sont directement accessibles en tant que données convertibles en contenu émotionnel explicite», souligne l’étude.

Pour cela, l’équipe menée par le professeur a eu recours notamment au traitement automatique des langues (NLP), un outil mélangeant intelligence artificielle, linguistique et informatique. Les morceaux ont été passés au crible d’un dictionnaire du stress, concocté par un panel d’évaluateurs qualifiés. «Ce dictionnaire du stress compte 270 mots et comprend des termes liés à la menace ou à la surcharge (abus, attaque, pression, surmenage, crise, menace, peur, panique), à la tension émotionnelle (stressé, tendu, anxieux, inquiet, frustré, épuisé), aux troubles physiques liés au stress (maux de tête, insomnie, épuisement, fatigue, maladie, douleur) et au langage catastrophique (terrible, désastre, effondrement, échec, ruine)», énumère l’auteur principal.

11 septembre 2001 et Covid

Les chercheurs ont également eu recours à des algorithmes de compression pour travailler sur la complexité ou la simplicité des textes. Les algorithmes de compression réduisent la taille d’un fichier en identifiant et en raccourcissant les motifs répétitifs, tout comme le font les fichiers ZIP ou RAR sur un ordinateur. Si un texte est très répétitif, il peut être compressé plus efficacement.

Par exemple : « J’aime la pluie, j’aime la pluie » peut être stocké sous la forme « J’aime la pluie x2 », qui est hautement compressible et donc simple. « J’aime la pluie, elle a le goût de l’eau » est moins répétitif et moins compressible, il est donc plus complexe», explique encore le chercheur.

Les chercheurs ont ainsi mis au jour une corrélation entre événements d’actualité et renforcement des signaux de stress, d’anxiété ou de négativité dans les paroles des chansons choisies par les auditeurs. Cela a été plus particulièrement visible après les attaques terroristes du 11 septembre 2001 ou encore l’apparition du Covid en 2020.

Mais ce n’est pas tout. Les paroles des chansons sont de façon inattendue redevenues plus complexes vers 2016, «coïncidant avec l’élection de Trump à son premier mandat présidentiel, qui était l’événement le plus marquant à cette époque», notent les chercheurs dans leur étude. «Tant que des études complémentaires n’auront pas examiné la relation entre le discours politique et la complexité artistique, toute explication de ce revirement restera pure spéculation», tempère toutefois Mauricio Martins en conclusion.

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