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[Musique] Protomartyr, toutes les couleurs du spectre


(Photo : trevor naud)

Avec six albums en douze ans, les Américains de Protomartyr, en concert lundi aux Rotondes, figurent parmi les meilleurs représentants du «revival» post-punk. Focus.

Le post-punk n’est jamais parti. S’il était un groupe à lui tout seul, celui-ci ferait des rappels sans fin. Dans «post-punk», il y a «post». Le «no future» du punk devient alors «yes future». Alors que Ian Curtis faisait des crises d’épilepsie sur scène, comme s’il pogotait avec son ombre, le post-punk, quant à lui, fait le grand écart. D’un côté, il y a Foals ou Interpol : des poids lourds – en termes de son et de notoriété. Dans le cas d’Interpol, il s’agit de dresser un pont entre Joy Division et U2. Foals louche sur Talking Heads, tout en le purgeant de ses angoisses et de ses déviances. C’est bien, c’est appliqué. Dans le même rayon post-punk, les mauvais élèves font du bruit, ils se nomment Parquet Courts, Idles ou Protomartyr. Avec leur rugosité, ces groupes sentent la cave. Tous connaissent la musique, c’est pour ça qu’ils savent mal la jouer. Et c’est mieux que bien : c’est bon. Car dans «post-punk», il y a «punk», aussi.

La référence commune à ces groupes, s’il y en a une, c’est The Fall – à ne pas confondre avec Foals, donc. Ça saute aux oreilles : les Protomartyr ont écouté, jusqu’à la rayure, les vinyles du combo emmené par Mark E. Smith. Depuis plus de dix ans, les Américains ont repris le «post». Ils sont également les fils spirituels de Père Ubu. Composé de Joe Casey (chant), Greg Ahee (guitare), Alex Leonard (batterie) et Scott Davidson (basse), les quatre acolytes exaltés plongent le post-punk dans le garage. Avec classe, crasse et grâce.

Les fantômes
sont éternels

À l’origine, le groupe doit son nom à Étienne, le premier martyr. La fusion bâtarde entre «proto» et «post» entraîne un certain déraillement. Les étincelles suintent le soufre. Et le coloris est moins or qu’urine. En 2012, No Passion All Technique est justement publié par Urinal Cake Records. Ce premier LP est enregistré à la «va-comme-j’te pisse». Oui, oui : les musiciens louent un studio pendant seulement quatre heures, alors ils jouent, à bout de souffle, le plus de morceaux possible. Il s’agit d’aller plus vite que la musique. Avec les lignes de basse sèche à cheval entre la fin des années 1970 et le «revival» new wave, avec la batterie autoritaire, ponctuée par des sursauts tentaculaires, et avec la voix de baryton (pour ne pas dire d’outre-tombe) de Joe Casey, Protomartyr rappelle que les fantômes post-punk sont éternels.

Detroit, leur ville, est la capitale de leurs chansons. Il s’agit du décor adapté aux histoires qui tournent autour de la trinité boulot, apéro, dodo. Si Ypsilanti dresse le portrait de trois ouvriers, c’est au bar de Midtown que Jumbo’s paye sa tournée. Quant à Maidenhead, il s’inspire de Hangover Square, un livre de Patrick Hamilton publié en 1941 dans lequel le héros est un alcoolique aussi sympa qu’apathique. Et puis, à l’instar de Mark E. Smith, Joe Casey ne crache pas sur les rappels de pintes; quand il ne lui fait pas voir flou, l’alcool le rend visionnaire. Sur scène, la fumée de sa cigarette forme un halo autour de sa tête, comme un voile de mystère. En plus d’être un leader post-punk moderne, Casey est un poète : l’immédiateté des titres n’altèrent en rien la profondeur des images que découlent de ses paroles, tour à tour mélancoliques (dénuées de pathos), drôles (teintées d’humour noir), lucides (saupoudrées de cynisme). Et la spontanéité live de Protomartyr est la cousine de l’urgence qui a fait naître leur premier LP.

De The Agent Intellect (2015) à Ultimate Success Today (2020), le groupe pourrait incarner un versant musical du «déclin de Detroit». L’an dernier, à la sortie de Formal Growth in the Desert, un disque postapocalyptique, Joe Casey comparait ses lyrics à des «mots de survie». Mais alors : «survivre» au sens de «vivre en évitant de mourir»? Ou «survivre» pour «vivre encore plus fort»? Aucune des deux idées ne viendrait contredire l’autre. Mieux : en étant liées, elles proposent une définition… du post-punk. Car Protomartyr, groupe emblématique du genre, semble parfois sortir de l’année 1979, tout en étant très actuel – tout comme certains groupes de 1979 paraissent plus que jamais au goût du jour. Aujourd’hui, comme il y a dix ans, les mélodies du quatuor ne constituent pas des parenthèses entre les distorsions; «urgence» ne rime pas ici avec «néglience». Et, aussi saturées soient-elle, les guitares n’affichent jamais une mine blasée. À ce sujet, il y aurait même, pourquoi pas, une part métaphysique chez Protomartyr. Mais oui : et si les réverbérations n’étaient pas des effets, mais des échos de tous ces spectres post-punk?

Lundi, à 20 h 30.
Rotondes – Luxembourg.

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