Depuis une bonne décennie, la soul à l’ancienne se refait une santé à travers une belle brochette d’artistes à la fibre nostalgique, portés par des envies d’authenticité et d’analogique.
Citons dans ce sens les récentes et excellentes productions de Kelly Finnigan (avec ou sans ses Monophonics), de Durand Jones & The Indications, mais également de Black Pumas, Michael Kiwanuka ou encore Brittany Howard (Alabama Shakes). Une liste non exhaustive de musiciens racés et de labels sensibles à ces sonorités chaudes d’antan, sur laquelle on retrouve Daptone Records, qui depuis Brooklyn impose son surnom flatteur de «House of Soul».
Parmi ses faits d’armes, non des moindres, celui d’avoir relancé le style avec trois ambassadeurs de charme aux élans divers (blues, funk, R’n’B) et aux épaules solides : Sharon Jones, Charles Bradley et Naomi Shelton. Mais le trio «tête de gondole», pas de première fraîcheur, va passer l’arme à gauche en l’espace de cinq petites années seulement. Il fallait donc se renouveler et retrouver des voix porteuses. Chose faite avec Lee Fields, toutefois plus à l’aise avec The Expressions à la suite d’un exercice solo mineur en 2022 (Sentimental Fool), et un trio monté sur ressorts de San Diego, Thee Sacred Souls, auteur d’un premier missile la même année.
C’est sa voix, dans toute sa dimension et sa variété, qui porte l’album de part en part
La dernière trouvaille de Daptone se fera, contre toute attente, non pas aux États-Unis, mais en Europe, à Liverpool. C’est dans la ville des Beatles (dont il est fan) que l’on découvre Jalen Ngonda, parti en Angleterre pour parfaire sa culture et sa formation musicale. À la base, le garçon, 28 ans, est d’origine zambienne, a été élevé dans la banlieue de Washington DC et baigne dans la musique depuis sa tendre enfance avec, comme pour beaucoup de talents, une capacité à tout apprendre (guitare, piano, violon pour lui) et un passage par les bancs de l’église locale. Au bout, un premier EP en 2018 (Talking About Mary), un carton au Montreux Jazz Festival et des premières parties de choix (dont celle de Lauryn Hill).
Avec son premier long format, Come Around and Love Me, Jalen Ngonda s’impose d’emblée comme la nouvelle sensation soul à suivre, en raison principalement de cette voix, superbe, qui fait dresser les poils, effet commun à toutes les plus grandes de la Motown. C’est elle, dans toute sa dimension et sa variété, qui porte l’album de part en part, tantôt puissante et cathartique, tantôt rassurante. Avec ce falsetto impressionnant, ce timbre quasi féminin, les comparaisons deviennent évidentes : Marvin Gaye et Smokey Robinson. Mais on pourrait compléter ce duo par bien d’autres noms qui comptent, de Bobby Womack à Curtis Mayfield, une fois l’œuvre appréhendée dans son ensemble.
Un disque qui, en onze titres et à peine plus de trente minutes, reste en effet fidèle au standard du genre et aux disques mythiques des années 1970. Dans le texte, Jalen Ngonda raconte ainsi son âme en morceaux et ses histoires de cœur à construire (ou à reconstruire). Musicalement, il a pu profiter de l’écurie de musiciens de Daptone (dont les anciens Dap-Kings) pour tisser des compositions très élégantes et «catchy», où se mélangent avec bonheur chœurs, cuivres et cordes.
Sans tomber dans la sophistication, ni la mélancolie tire-larmes, il déroule alors ses morceaux avec une aisance folle, réalisant par là même un vrai sans-faute pour cette première renversante. Lui qui avoue vouloir infuser un peu de pop «sixties» dans ses chansons (avec une prédilection pour les Beach Boys et les Beatles) semble n’avoir pas tout mis, ni encore tout dit dans sa musique. Bien entourée, cette belle promesse devrait rapidement refaire parler d’elle. Il a tant d’amour à donner, et nous, à recevoir.