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[Musique] Otoboke Beaver : fureur nippone


En 2003, Quentin Tarantino, fin connaisseur musical, dévoilait le premier volet de Kill Bill et, par là même, un trio féminin et japonais aux déhanchés ravageurs et à la fraîcheur communicative : The 5.6.7.8’s. Sous leurs airs innocents, élégantes dans leurs longues robes jaunes, ces adeptes d’un rockabilly dévastateur annonçaient le chaos à venir au cœur d’un restaurant-club : soit Uma Thurman et son katana affûté mettant en pièces tout un gang, découpant à tout-va comme si elle préparait une salade composée. Otoboke Beaver, groupe basé à Kyoto, fait le même effet. Derrière les apparences policées, ces quatre copines sont en effet d’une sauvagerie sans pareille.

Oui, avec elles, on est bien loin de la «city pop», bande-son du miracle économique japonais des années 80 et genre qui revient aujourd’hui à la mode avec ses tubes glamour et gentiment suaves. Non, s’il fallait chercher un modèle parlant, ce serait plutôt Chai, formation qui, à travers des albums bigarrés (Pink, Punk et Wink), montre que la «J-Pop» peut être autre chose qu’un simple produit commercial sirupeux. Un côté foutraque dans lequel se reconnaît Otoboke Beaver, au point de l’annoncer dans le titre – le mot «champon», en japonais, suggérant un méli-mélo, un fouillis. Et pour les appétits solides, une soupe tout aussi variée, faite de fruits de mer, de porc et de légumes.

Gare toutefois à l’indigestion pour ceux qui n’y sont pas préparés, car ici, on a à peine le temps d’affûter ses couverts qu’il faut déjà les ramener en cuisine! Au point qu’Otoboke Beaver pourrait emprunter à Daft Punk sa fameuse devise : «Harder, Better, Faster, Stronger» («Plus dur, meilleur, plus rapide, plus fort»). Il faisait déjà fort avec son premier LP, Itekoma Hits (2019), soit quatorze titres traversés en seulement une petite demi-heure. Super Champon fait donc mieux : dix-huit chansons courant sur à peine plus de 20 minutes – certaines durant moins de 20 secondes. Mais ce n’est pas parce que l’on va vite que l’on fait n’importe quoi, ce que s’évertue à prouver l’effronté quatuor.

Un album fou et brûlant comme un mal de gorge après une rasade de kérosène

Encensées par certaines stars du rock (Foo Fighters, Metallica, Franz Ferdinand) et des festivals de renom (Coachella, SXSW) – elles seront d’ailleurs le 30 juin aux Eurockéennes de Belfort –, Accorinrin, Kahokiss, Hirochan et Yoyoyoshie font bien du punk, mais rester bloqué à ce seul attribut serait réducteur. Grâce à elles, en effet, le style se redécouvre des contorsions passionnantes, avec des détours par le rock, le hardcore, le metal et même la pop. Preuve que l’on peut être fines, inventives et furieuses à la fois, tout en maîtrisant son art, comme ce fut déjà le cas avec le mouvement «riot grrrl» du début des années 1990.

Comme son prédécesseur, Super Champon est le genre d’album expéditif, fou, brûlant comme un mal de gorge après une rasade de kérosène, avec ses morceaux qui changent de direction aussi vite qu’une boule de flipper. Le «chaos» érigé en «chef-d’œuvre», voilà comment Otoboke Beaver définit cette production sur laquelle elles continuent de régler leurs comptes avec les conventions maternelles et amoureuses, les devoirs féminins, les relations sentimentales toxiques. Entre bruits, cris spontanés et folles ruptures de tempo, le tout dans une bonne dose d’humour, le quatuor s’affranchit des codes pesants de la société moderne et s’épanouit à sa manière. Et si un jour tout cela s’effondre, comme dans Kill Bill, on saura au moins quoi écouter.

Otoboke Beaver – « Super Champon »

Sorti le 6 mai

Label Damnably

Genre punk / rock