Repéré par Dan Carey, O. sort son nouvel album intitulé WeirdOs. Déjà connu pour ses lives tapageurs, le duo laisse ici l’impression de s’atteler à une longue improvisation, faite de chaud et de froid, de sages pauses et de passages survoltés.
Il n’y a pas si longtemps que ça, quand on se penchait sur le berceau de la scène alternative du rock anglais, avec toutes ces pépites alors en pleine ébullition et (trop vite) estampillées post-punk, un nom, toujours le même, revenait sans cesse dans l’affaire : celui de Dan Carey, producteur de son état. Avouons-le, celui-ci ne parle pas au plus grand nombre et pourtant, il est considéré là-bas comme un homme providentiel.
À son actif depuis 2005, de respectables collaborations en tant qu’auteur, producteur ou ingénieur, que l’on évoque Tame Impala, Hot Chip, The Kills, Bloc Party ou encore Django Django. Mais derrière ces groupes aux épaules larges, on le retrouve surtout à l’œuvre en compagnie de formations qui vont, après son passage, passer du statut de promesses de l’ombre à celui de talents sans limites : Fontaines D. C., black midi, Kae Tempest, Black Country, New Road ou Squid. C’est vrai, ça en impose.
Des lives tapageurs
La liste pourrait même s’agrandir, car on ne compte plus le nombre de musiciens passés sous sa coupe. Car ce qui l’éclate vraiment, c’est de jouer au défricheur, de déceler et déterrer les trésors cachés de Londres et d’ailleurs, chose qu’il pratique par le biais de son label, Speedy Wunderground.
Depuis février 2013, Dan Carey reçoit ainsi dans son studio ces artistes en devenir, souvent pour mettre sur pied un single (produit en circuit court et en quantité limitée), à condition de se plier à certaines conditions, comme celles, essentielles, d’«enregistrer en live» ou de ne rien proposer de «doux». Ça tombe bien : O., sa dernière trouvaille, colle parfaitement aux standards. Déjà parce que le duo s’est fait remarquer (et connaître) à travers ses lives tapageurs et instrumentaux. Ensuite parce qu’ensemble, la percussionniste Tash Keary et le saxophoniste baryton Joe Henwood envoient effectivement la sauce.
Une drôle de façon de commencer la journée
On replace. Au moment de la pandémie mondialisée, le tandem se trouve et improvise pour tromper l’ennui. Au cœur du libéralisme décomplexé cher à Boris Johnson, il patiente et pète le feu quand il s’agit de retrouver l’ambiance des salles de concert. Il va même prendre quartier dans l’une des plus réputées de la capitale de Grande-Bretagne : le Windmill Brixton, pub du sud de Londres apprécié pour avoir été l’incubateur des artistes précédemment cités (avec Shame en plus sur l’inventaire).
Autant dire que la filiation avec Dan Carey devenait évidente et allait se matérialiser sur un premier EP (Slice, 2023) et, depuis une poignée de jours, sur un premier long format encore plus puissant. Dix titres courant sur 38 minutes qui résument bien le slogan qui s’affiche sur la pochette et la boîte de céréales qui y figure : «The weird way to start the day» (que l’on pourrait traduire par «Une drôle de façon de commencer la journée»).
«L’enfant illégitime du jazz et du doom metal»
Pas sûr en effet qu’écouter à fond dans le casque O. entre le petit-déjeuner et le boulot soit du meilleur effet. À moins d’avoir dormi deux heures… Car le duo se définit encore de la sorte : «L’enfant illégitime du jazz et du doom metal». On pourrait rajouter d’autres attributs comme le punk ou l’électronique. Avec la même force de frappe et la même affinité naturelle que certains autres binômes européens – DŸSE (Allemagne), La Jungle (Belgique) ou Hyperculte (Suisse) –, Tash Keary et Joe Henwood marient leur énergie : elle avec sa batterie musclée et virevoltante, lui avec son saxophone aux puissantes secousses, parfois passées au tamis de pédales d’effets.
C’est singulier, technique et créatif. En un mot : libre. Surtout, WeirdOs jouit de son enregistrement en direct. À son écoute, on a même l’impression d’entendre une longue improvisation, faite de chaud et de froid, de sages pauses et de passages survoltés. Une urgence qui pourra d’ailleurs s’apprécier cet été au Luxembourg, aux Congés annulés des Rotondes (le 7 août). La meilleure façon, sûrement, de terminer la journée.
O., WeirdOs. Sorti le 21 juin. Label Speedy Wunderground. Genre jazz / rock expérimental