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[Musique] Notre sélection des six meilleurs albums de 2021


Découvrez notre florilège des albums "indés" de l'année (Photo : Editpress)

Du rap qui n’en a pas l’air à de la pop sucrée, brillamment orchestré, en passant par de la soul amoureuse, du post-punk nerveux ou des musiques sans frontière, voici un florilège des albums « indés » marquants de l’année. À écouter sans modération.

« Sometimes I Might Be Introvert » de Little Simz 
Elle a tout d’une grande!

Oubliez les débats autour des stars actuelles du hip-hop, Kanye West et Drake, pour savoir qui est le meilleur – il suffit d’écouter leurs disques de année pour avoir la réponse : aucun des deux! Tournons-nous plutôt vers Little Simz, depuis quelques temps au sommet du genre. Car oui, la Londonienne n’a rien d’une découverte. Si Stillness in Wonderland (2016) était un disque de «rodage», Grey Area (2019) balançait un uppercut et posait les bases de son style : un flow élastique, une mélancolie soul (qui a parlé de Lauryn Hill?) et des idées larges.

Sometimes I Might Be Introvert confirme l’examen : Little Simz, malgré son surnom de poche, a des envies XXL! Le titre d’ouverture, un boléro épique, posait l’ambiance. La suite, épique, n’a pas à rougir, avec son mix de soul, funk, néo-jazz, mélodies enfantines et rap. La rappeuse prouve que la sincérité est le socle de toute création, surtout quand on y met l’art et la manière. N’en déplaise aux amateurs de «clashs». Little Simz leur laisse la cour de récréation, trop étriquée pour elle.

« Yeti Season » de El Michels Affair
Dans les rêveries d’El Michels

Le producteur Leon Michels, qu’il travaille avec Sharon Jones ou réinterprète le Wu-Tang Clan, s’est toujours construit un monde propre à lui. Des rêveries qu’il concrétise dans des réalisations intemporelles et universelles, aux textures sonores venues des quatre coins de la planète. C’est à nouveau le cas avec Yeti Season. Ainsi, un an après sa BO fictive, Adult Themes, cet as du groove remet son talent au service de l’imagination, ouvrant grand ses chakras pour concocter un voyage «à la cool», hypnotique et finement ciselé.

Puisant dans la pop hindi-turc des années 70, le multi-instrumentiste invite ses complices à de nouvelles aventures perchées, entre funk d’Anatolie, soul de Mumbai et sonorités de Brooklyn. Tambours entêtants, cuivres rutilants et synthétiseurs aériens se mêlent à l’affaire, parfois rehaussés par la voix de Piya Malik qui complète un album à majorité instrumental. Ici, une fois encore , c’est à l’auditeur de planter le décor d’un film qui n’existera pas. À condition, bien sûr, qu’il retouche le sol.

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« Once » de Maxwell Farrington  & Le SuperHomard
On en pince  pour eux!

Non, Maxwell Farrington & Le SuperHomard n’est pas le titre d’un énième «nanard». C’est une histoire d’amitié entre deux hommes, à fleur d’eau : Maxwell Farrington, chanteur australien bourlingueur qui s’est posé en Bretagne, et Christophe Vaillant, multi-instrumentiste d’Avignon. Deux passionnés de Lee Hazlewood, Scott Walker, Burt Bacharach et encore Frank Sinatra qui, comme dans un couple, partage les tâches : le premier apporte l’écriture et sa voix de crooner; le second, lui, se charge de l’enrobage et des arrangements.

Au bout, une pop élégante et orchestrale : cordes et vents en cascade, claviers perchés et tout un attirail de sucreries baroques animent une collection de mélodies imparables. Le tandem convoque les esprits des Beatles, Beach Boys, Phil Spector et surtout Arthur Lee, du groupe Love (comment ne pas s’en convaincre à l’écoute de Happening Again). Sortant de leur carapace, Maxwell Farrington & Le SuperHomard prennent de la hauteur grâce à cette première solaire et addictive. De quoi en pincer pour eux!

« Smiling with No Teeth » de Genesis Owusu
Qu’est-ce qu’elle a ma gueule ?

Il est d’usage de dire que les apparences sont trompeuses, et avec Genesis Owusu, c’est le cas. À preuve, la pochette de son premier disque : avec sa tronche de travers, recouverte de bandages, ses grosses bagues et ses dents plaquées or, il laisse imaginer que l’on est ici dans du gros rap qui tache. Que nenni! Le garçon, 22 ans, préfère… ne pas choisir, mélangeant les couleurs, changeant d’ambiance… Les quinze titres réunis ici témoignent de cet éclectisme et cette disposition à ne pas forcément vouloir plaire à tout le monde.

Avec un groove à fleur de peau, il associe, dans un genre d’album-concept, le kitsch des années 80 avec des sonorités électroniques, de lourds synthétiseurs à des guitares criardes, et mélange Prince, N.E.R.D., Kendrick Lamar dans le même shaker. Les friandises sont si nombreuses qu’il serait difficile de faire la fine bouche. Et qu’importe l’indigestion! Le «black dog» (surnom qui dit en creux le racisme dont il a été victime) mord et laisse une trace indélébile. Avec une telle dentition, il fallait s’y attendre!

« Bright Green Field » de Squid
La possibilité d’une île

Mais que se passe-t-il donc sur cette île? Depuis le Brexit, de nombreux groupes anglais sortent la guitare et racontent le malaise ambiant – Idles, Shame, Black Country New Road, black midi, Tiña, Life, sans oublier des voisins (Fontaines D.C., MNNQNS). Des élans séditieux qui se matérialisent dans une palette de sons et d’emprunts sans limite. Squid est de ceux-là, et à sa manière, brise les carcans du rock et s’invente un nouvel horizon. Même si avec lui, le cap n’est jamais clair et la perspective multiple.

Sa musique place en effet l’auditeur dans un état d’alerte, l’amenant dans de déroutants (mais appropriés) changements de direction. Une désorientation qui s’appuie sur toute une série d’outils – saxophone, violon, violoncelle, trombone – et combine sonorités nerveuses, psychédéliques et électroniques. Pour synthétiser, Squid se situe au croisement David Byrne, James Chance et Can. Des références sur lesquelles le groupe joue magnifiquement à l’équilibriste. Oui, l’Angleterre n’en a pas fini d’en prendre plein les oreilles!

« Roadrunner : New Light, New Machine » de Brockhampton
Longue vie  au «boy band»

Le meilleur «boy band» depuis One Direction est de retour! Derrière la blague, lancée par Brockhampton, on retrouve avec joie ce collectif à géométrie variable qui, depuis le Texas, joue au contre-pied, comme l’affiche une discographie foutraque. Multiracial, multidisciplinaire, multigenre (il défend son appartenance à la culture «queer»), la bande floute les lignes de démarcation avec un rap qui s’approche des frontières de la pop, sans succomber à la facilité du genre, ni aux attentes du grand public.

Sa sixième offrande, plus cohérente et intense, continue d’explorer de nouveaux terrains de jeu entre raps frénétiques, d’autres entre «Dirty South» et «West Coast», et d’autres qui fouillent la zone grise entre hip-hop, R’nB et pop. Mais Roadrunner est aussi un album de confession, dont le bel écrin fait briller les idées noires du groupe, qui chante sa colère, sa vulnérabilité et sa désillusion. Une authenticité d’autant plus touchante que le sabotage est d’ores et déjà prévu : Brockhampton a en effet annoncé sa fin prochaine. Sniff.

Grégory Cimatti