De son éveil à la musique à l’influence des jeux vidéo, le bassiste luxembourgeois Mateus Wojda nous ouvre les portes de LINQ, son nouveau projet de jazz fusion, avant la «release party» d’un EP, samedi, aux Rotondes.
Musicien actif depuis 2009 au sein de diverses formations (All The Way Down, Stayfou, The Disliked), le Luxembourgeois Mateus Wojda revient à la tête de LINQ, un nouveau projet de jazz fusion. À la clef, Between Worlds, un EP en guise de carte de visite, à paraître samedi. Et un concert, le soir même, aux Rotondes. Interview.
Avec LINQ, vous mixez différents genres, du disco au funk en passant par le hip-hop et l’afrobeat, pour les passer à travers le filtre jazz…
Mateus Wojda : L’idée, c’est d’aller à la source de mes influences, pour les mêler à l’improvisation. Il s’agit de créer un espace où l’on peut se défouler en tant que musiciens, sur les « soundscapes » et sur les grooves qui proviennent de la musique moderne. Prendre le jazz, pour mieux le combiner à des sonorités qui permettent d’approcher l’auditeur. En somme, tutoyer des styles populaires et rendre ainsi le résultat le plus fluide possible.
Alors que le jazz est souvent connoté « ancienne école », vous pensez que ce genre peut se fondre dans les musiques modernes tout en les cimentant?
Le jazz est hyper large. Beaucoup de styles se trouvent à l’intérieur même du genre. En lisant les interviews des plus grands musiciens, ils le disent eux-mêmes, que le terme « jazz » renvoie à l’expérimentation, à la recherche de nouveaux sons, pour le faire avancer. C’est, en tout cas, dans cet esprit-là, et par extension via les mélanges, que j’ai envisagé LINQ.
Avec Daniel Migliosi, Veda Bartringer ou Mathieu Clément, vous êtes plusieurs, au Luxembourg, à donner au jazz une nouvelle jeunesse, par la fusion.
Cet élan a commencé avec des jazzmen tels que Pol Belardi ou Jérôme Klein; ce sont les pionniers du jazz moderne au Luxembourg.
Jusqu’où peut-on aller dans l’abstraction sans perdre la clarté et la compréhension de la musique d’aujourd’hui?
Sur le morceau Circus, par exemple, il y a une partie complètement libre. On sort du conformisme, du prévisible, pour donner à l’auditeur un arôme de ce qu’est le free jazz. On le fait aussi pour nous, car on vibre en faisant ce que l’on veut. Après, on revient à une partie répétitive, avec une mélodie plus simple, pour que l’auditeur comprenne ce qui se passe.
LINQ incarne, selon vous, « le rêve d’enfance de s’exprimer pleinement » : quel était votre rapport à la musique lorsque vous étiez enfant?
J’ai découvert la musique un peu par hasard, parce que ma mère m’a offert une guitare classique quand j’avais onze ans. C’était une échappatoire. Je pouvais fuir le quotidien. De nature rêveuse, la musique m’a emporté dans un autre monde. Et je me suis perdu dans la musique. En plus, elle a fortifié ma confiance.
Qu’avez-vous retenu de votre formation de bassiste au Conservatoire d’Amsterdam?
L’avantage du Conservatoire à Amsterdam, c’est que la section de la basse électrique était très ouverte; ce n’était pas que du jazz que l’on faisait. On a essayé de me construire en tant que musicien complet.
En changeant le l de LINQ par un C, ça fait cinq. Si LINQ est un projet personnel, en tant que quintet, avez-vous trouvé l’harmonie pour aller dans la même direction sonore?
J’ai choisi ces musiciens, car ils sont très bons, en plus de posséder une grande faculté d’adaptation. Au début, je n’avais pas une vision solide de ce que je voulais, mais le plus important, c’était de commencer. Et voir après ce que l’on peut améliorer. Après deux ans de synergie, on va dans une direction qui me plaît et puis on se comprend.
En concert, il est important que la musique sollicite la tête, mais aussi le corps
Puisque le disque s’intitule Between Worlds, un morceau comme Discoo se situe entre deux mondes musicaux : le club de jazz et le « dancefloor ».
Oui, c’est une bonne interprétation, car le titre Between Worlds renvoie bien à la rencontre de différents mondes. Discoo concilie l’approche dansante et l’improvisation sur deux accords. En concert, il est important que la musique sollicite la tête, mais aussi le corps.
N’est-il pas aussi question de la rencontre entre le monde adulte et celui de l’enfance?
Tout à fait. À l’époque d’All The Way Down, mon premier groupe, c’était John Wolter qui écrivait les morceaux : je les aimais bien, mais je ressentais la nécessité d’avoir les miens. Alors LINQ, c’est, forcément, la conséquence de ce désir. Il y a aussi de la nostalgie, celle qui me replonge dans l’enfance, quand j’écoutais de la musique de jeux vidéo. LINQ, c’est ce sentiment qui fusionne avec mon savoir-faire acquis avec le temps.
La pochette renvoie au monde du « gaming » et il y a dans l’EP des sonorités 8-bit : en quoi l’influence du jeu vidéo est-elle si importante?
Le nom LINQ, déjà, est inspiré des jeux vidéo. Si LINQ symbolise le fait d’unir les genres musicaux, c’est aussi le nom du protagoniste de Zelda (NDLR : orthographié Link) – et le titre même du disque renvoie à un jeu de cette série. Between Worlds fait écho aussi au digital versus le monde réel; c’est pour cette raison qu’il y a des pixels dans l' »artwork ». Les jeux vidéo font depuis toujours partie de ma vie. À la maison, il y avait la Nintendo, j’y jouais avec mes frères et sœurs. Bon, la musique, ce sont des boucles, beaucoup de sons qui se répètent indéfiniment, mais ça marche bien, on ne s’ennuie pas, ça crée une atmosphère qui donne envie.
Avec la reprise de Tell Me A Bedtime Story, vous rendez hommage à Herbie Hancock.
Faire cette « cover », c’est une façon de parler de l’un de mes héros. Herbie Hancock est un pionnier du jazz fusion, un des premiers à avoir incorporé des synthétiseurs dans le jazz.
En plus d’être musicien, il vous arrive de rapper : si vous deviez déclamer des « lyrics » sur les compositions de cet EP, ça donnerait quoi?
C’est difficile à dire parce que je ne ne suis pas hyper à l’aise avec les paroles. Je dirais que ça se dirigerait vers des thèmes philosophiques. Mais je ne veux pas trop imposer de textes à l’auditeur; je veux laisser beaucoup d’espace à l’imagination. C’est, selon moi, l’un des aspects les plus puissants de la musique.
Qui est la Mary du titre éponyme?
Au départ, le morceau n’était pas pour elle, mais après, en l’écoutant, le côté enjoué m’y a fait penser. J’ai cherché un titre, alors j’ai mis son nom. C’est une femme qui faisait partie de ma vie et elle est encore importante pour moi.
Et, même s’il n’y a pas de mots, que raconte un titre comme Views From The Moon?
L’idée du morceau, c’est de prendre de la distance, même pendant un court instant, par rapport à ce qui se passe sur Terre. On oublie parfois qu’on est si petit dans cet univers. Et les problèmes semblent tellement grands. Si l’on prend quelques minutes pour réfléchir à la taille du monde, les perspectives peuvent changer. C’est important ensuite de revenir sur Terre. Mais ça fait aussi du bien de prendre du recul.
Between Worlds (EP),
de LINQ.
«Release party»
samedi, à 20 h.
Rotondes – Luxembourg.