Avec une technique époustouflante et des millions de vues sur les réseaux sociaux, Marcin, virtuose polonais de 24 ans, transcende les genres et revisite l’art de la guitare. Rencontre.
Traditionnellement, les artistes montent sur scène pour communier avec le public. Marcin, prodige polonais de la guitare, y ajoute une motivation supplémentaire : prouver que son ébouriffante technique, qui lui vaut des dizaines de millions de vues sur Instagram, n’est pas un trucage.
«Ça m’ennuie un peu que les gens pensent que c’est faux, mais en même temps, c’est bien que ça fasse parler», affirme dans un rire le virtuose de 24 ans aux faux airs de Timothée Chalamet, qui vient de lancer à Paris une tournée d’une quarantaine de dates en Europe.
Qu’il interprète Chopin, Nirvana, Dr Dre ou encore Stevie Wonder, Marcin Patrzałek reproduit avec sa seule guitare acoustique le son d’un groupe au complet. La caisse de son Ibanez lui sert de percussion, qu’il frappe de la paume de sa main droite ou tapote de ses ongles finement limés à la manière d’un guitariste de flamenco.
Dans le même temps, ses doigts se déploient à toute vitesse sur le manche pour recréer, dans un même mouvement, la basse, une ligne harmonique et une rythmique.
Folle popularité sur Instagram
«Je ne voulais singer personne, alors j’ai essayé de faire quelque chose d’unique», résume l’élégant jeune homme, qui garde la tête froide malgré sa popularité en ligne.
Sur Instagram, ses petits «shots» de virtuosité dépassent quasiment tous le million de vues quand ils n’affolent pas totalement les compteurs. Son interprétation passionnée et percussive de L’Amour est un oiseau rebelle, tiré de l’opéra Carmen, a ainsi été visionnée près de 27 millions de fois, tout comme sa prestation en solo à la mi-temps d’un match de NBA en 2024 aux États-Unis.
Ses tutoriels, où il explique méthodiquement sa technique à des célébrités médusées, font également un carton. L’incrédulité de l’ex-Fugees Wyclef Jean devant une réinterprétation d’Alors, on danse de Stromae a été vue plus de 28 millions de fois.
Succès quasi-identique pour une démonstration devant Will Smith, tellement conquis qu’il a fini par recruter Marcin sur son récent morceau de rap First Love.
La virtuosité, aimant à clics
La guitare, «ça a toujours été très naturel et très fun!», affirme le jeune homme. Pas de parents musiciens ou d’apprentissage à l’âge des couches culottes. Le natif de Kielce (sud-est de la Pologne) a commencé la six-cordes vers dix ans et a pu compter sur un professeur de classique qui a «vu quelque chose de spécial en lui».
Adolescent, il remporte le télé-crochet Mam Talent!, déclinaison polonaise d’America’s Got Talent, et arrivera quelques années plus tard, en 2019, en demi-finale de l’émission aux États-Unis où il était parti étudier.
Aujourd’hui, la virtuosité qui a fait sa renommée reste un puissant aimant à clics mais peut aussi être un piège. «Les gens ont un temps d’attention très limité et passent leur temps à « scroller » sur leur téléphone» , analyse l’artiste.
«Montrer sa technique est un bon moyen de les impressionner (…) S’ils entendent quelque chose et qu’ils se disent « waouh, comment est-ce possible? », ils auront envie d’en savoir plus». Mais, ajoute-t-il, «le problème, c’est que ça finit par devenir très répétitif. Il ne faut pas que tout soit rapide et technique».
Chopin, Bach… et Nirvana
Un dilemme se pose donc à lui : «D’un côté, si je publie quelque chose en ligne, je veux être vu des millions de fois. De l’autre, je veux sortir des choses nouvelles et évoluer».
Sur son dernier opus, Dragon in Harmony, paru en septembre, affleure parfois une forme d’épure peu «instagrammable» qui coexiste avec des titres plus spectaculaires et, toujours et encore, des morceaux de classique. «C’est la base», tranche Marcin.
À la Maroquinerie, petite salle parisienne où il se produisait en début de semaine, les Nocturnes de Chopin ou la Toccata de Bach ont ainsi soulevé la même clameur qu’une reprise de Nirvana.
«C’est un heureux hasard si ça plait à des gens qui n’écoutent pas habituellement de classique», dit Marcin, même si ce n’est pas ce qui le guide. «Je veux juste jouer la musique qui me plait… et le faire à ma propre façon!».