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[Musique] Maeve Moayedi se jette à l’eau


En creux, en tendant l’oreille, il y aura moyen d’imaginer à quoi va ressembler son futur album de neuf chansons. (Photo : maeve moayedi )

Artiste pluridisciplinaire, Maeve Moayedi est à l’image de son jazz : métissée et énigmatique. Fruit de voyages, de doutes et d’expérimentations, sa musique ne trouve pas d’équivalent au Luxembourg, depuis lequel elle cherche à se construire une nouvelle histoire. Rencontre.

Maeve Moayedi n’est pas une musicienne comme les autres. Chez elle, le jazz ne se porte pas en étendard. Il la traverse de part en part, l’habite, résultat d’une longue errance et d’expérimentations artistiques. De combats personnels aussi. Quand on cherche à en savoir plus, à découvrir en profondeur son univers musical, on tombe sur des sessions DJ, des plages radiophoniques où elle se raconte sur fond de sonorités minimalistes, ou encore des bouts de compositions où se mêlent électronique, chants haut perchés et enregistrements de terrain. Au cœur de cet attirail hétéroclite, deux chansons accrochent l’oreille, rares, charmeuses et originales. Ne reste plus qu’à recomposer le puzzle. «C’est une longue histoire !», prévient dans un sourire la jeune femme, de retour au Luxembourg. Elle y est née et compte y poser les fondements de sa nouvelle vie. Jusque-là, il y en a eu plusieurs.

Au départ, il y a l’héritage familial. D’un côté, une mère d’origine franco-norvégienne qui fait dans la peinture abstraite. De l’autre, un père iranien, violoniste classique. Et elle, au milieu, produit de cette mixité. «Ma musique est un mélange des deux», à la croisée du traditionnel et du non-conventionnel. Son identité aussi. «La migration, c’est dans mon sang !» D’où sûrement ce caractère volatil qui l’empêche de s’enraciner. Dès le baccalauréat achevé, elle quitte le Grand-Duché, file à Londres puis à Berlin, avec cette idée chevillée au corps : vivre de l’art. Mais entre une formation académique et la scène électronique allemande, elle va y laisser des plumes : burn-out, dépression, et là voilà privée de sa voix. «Pour moi, le chant, c’est quelque chose d’émotionnel», précise-t-elle. Comme la tête ne répond pas, le reste ne suit plus. «J’ai eu un gros blocage», qu’elle décide de combattre.

«Cowboy» et chasseuse de vent

Avec seulement 1 000 euros en poche, elle part en Argentine, monte à cheval (une autre passion familiale) et s’improvise «cowboy», comme on peut le lire sur TikTok. Son objectif : «Réincarner son corps» et faire de sa vulnérabilité une force. Elle y parvient grâce à la photo et un projet : immortaliser des femmes dans leur plus simple appareil au cœur d’«endroits vastes, sauvages, extrêmes». Les candidates se faisant rares, elle se met elle-même en scène, affrontant alors le froid en Norvège, la glace en Islande, la chaleur en Sardaigne, le désert aux Canaries… Une mise à nu «libératrice» qui ne masque pas sa priorité, qui n’a jamais varié : chanter à nouveau. «Durant tout ce temps, la musique était là, me démangeait !» Toutefois, elle ne veut pas brûler les étapes, préférant consolider cet «équilibre» retrouvé mais précaire plutôt que de se précipiter et chuter à nouveau. «Se forcer à chanter, c’est vider la pratique de son sens, de son âme. Moi, ça m’a tuée.»

Comme chez elle, «tout est lié», elle complète sa déjà large panoplie avec deux masters : un premier sur le féminisme intersectionnel, qui l’amène à réfléchir et détricoter «les dualismes nocifs» comme la nature et la culture, l’esprit et le corps… Puis un second en arts sonores qui la met une nouvelle fois à l’épreuve dans des situations extrêmes, comme la fois où elle fait «1 400 kilomètres en stop» pour aller «chasser le vent» en Islande, micro en main. Autant d’expériences qui se répondent les unes aux autres. Une fois passées au shaker, elles aboutissent à un livre («presque terminé»), une installation et une série de photographies (dont une a été exposée à Venise il y a quelques semaines). Sans oublier sa musique et son chant, nourris de concerts donnés à la Nouvelle-Orléans et à Londres, et surtout forgés par ce laborieux apprentissage multiforme. «J’ai étudié au conservatoire, j’ai eu des prix… Mais ce n’est pas ça qui m’a emmenée là où je suis aujourd’hui. C’est tout le reste.»

J’aime accrocher l’auditeur avec ses sons familiers, avant de l’emmener dans un univers inconfortable, dissonant, bizarre, flottant

Une musique qui «s’écoute avec le corps»

Mais où exactement ? Sûrement quelque part à la croisée de chemins. Ou plutôt «dans les intersections», corrige-t-elle, preuve à l’appui : deux chansons, prémices d’un album à venir (en juin de l’année prochaine) qui, en effet, jouent avec les repères. La première, Shoreline, cocréation inspirée de sa camarade Damsel Elysium, invite à s’envoler au son d’une sorte de harpe, d’échos organiques et de piano, avant de terminer sous les grondements menaçants d’une contrebasse. La seconde, For You, semble elle d’une facture plus classique avec ce chant «jazzy» qui lance l’invitation, mais rapidement, celui-ci se trouble et ondule, comme le ferait l’eau circulant au travers des cavités d’une grotte. Maeve Moayedi développe : «J’aime accrocher l’auditeur avec ses sons familiers, avant de le prendre par la main et l’emmener dans un univers inconfortable, dissonant, bizarre, flottant.»

Sa manière à elle de conjuguer deux «mondes» qu’elle apprécie : celui du jazz et celui de la musique expérimentale, abstraite, qu’elle a découverte dans l’underground londonien et berlinois. Si elle n’a rien contre tout ce qui est «conceptuel», elle préfère néanmoins que sa musique «s’écoute avec le corps, et pas avec la tête», et que, dans le même sens, elle reste «accessible». Elle se souvient à propos d’un concert où sa voix était seulement soutenue «du bruit du vent». «Ça a ses limites !», rigole-t-elle, se remémorant la tête du public, stupéfait. Et puis, ajoute-t-elle, «ça m’emmerde d’être seule sur scène», ce qu’elle a régulièrement fait dans un mariage dépouillé entre chant et sonorités atmosphériques. Certes toujours immersif, son univers a désormais trouvé du renfort.

Le «grand moment» de Differdange

C’est ce que constateront les curieux qui, dimanche, se rendront  à Differdange, aux Unison Studios, pour vivre le «grand moment» de Maeve Moayedi. C’est là qu’elle souhaite renouer avec son pays d’origine, persuadée qu’il est «prêt», plus qu’à l’époque, à apprécier son nu-jazz agrémenté de néo-classicisme et de touches électroniques. C’est également là que, «pour la première fois», sa musique se présente dans une «synergie nouvelle». À défaut d’avoir pu (ou su) trouver des musiciens locaux disponibles (car «le Luxembourg est une terre qui favorise les collaborations»), elle s’est appuyée sur deux connaissances pour se montrer en pleine lumière : Damsel Elysium (violoncelle) et C. Duke (piano), l’une «aérienne», l’autre «terrien». Et elle qui va se jeter à l’eau, son «élément de prédilection». «J’ai longtemps été dans mon cocon. Il est l’heure que je me libère», reconnaît-t-elle.

En creux, en tendant l’oreille, il y aura moyen d’imaginer à quoi va ressembler son futur album de neuf chansons, Heavy in the West, qui mijote selon ses comptes depuis «plus de dix ans». Dessus, un morceau s’appellera d’ailleurs Ten Years of Healing (soit «Dix ans de guérison»), ce qui en dit beaucoup sur sa gestation. «Je n’ai jamais perdu le fil, mais j’ai mis du temps à le réaliser. J’ai appris la production, la composition… Et je suis du genre à beaucoup retoucher mes créations.» Arrive le moment où il faut les livrer. Vêtue d’une «magnifique robe» concoctée par la créatrice de mode Alessia Bicchielli, elle promet quelque chose «de mémorable, de beau, de magique». Suivront d’autres concerts à Mamer et à Lasauvage en 2026, parsemés cependant de détours par l’opéra et le documentaire, confesse-t-elle. On est prévenu : avec Maeve Moayedi, mieux vaut être attentif, à moins d’aimer se perdre.

Dimanche à 18 h. Unison Studios – Differdange.

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