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[Musique] Mac DeMarco, l’humour à la plage


Apparu discrètement dans les années 2000, Mac DeMarco s'installe d'abord comme musicien de garage dans sa ville natale d'Edmonton, avant de rallier Vancouver puis Montréal. (Photo DR)

Mac DeMarco revient avec Guitar, un disque folk simple et alourdi de fatigue. C’est l’occasion de rembobiner la cassette pour suivre l’ascension du Canadien qui s’est imposé sans jamais avoir l’air d’y toucher.

Slacker suprême

Faire le bilan des années 2010, c’est toujours courir le risque des injustices : certaines trajectoires explosent en pleine lumière – Tame Impala qui enjolive son psychédélisme de groove R’n’B (Currents, 2015), Daft Punk qui emballe le passé dans une capsule dorée (Random Access Memories, 2013) – tandis que d’autres se glissent par la porte de service. Mac DeMarco est de ceux-là. Pendant que les icônes tombent les unes après les autres (Chilton, Winehouse, Donna Summer, Darc, Bowie, Cohen, Prince…), lui s’installe sans fracas dans la catégorie DIY (Do It Yourself), mascotte du cool bricolé, héritier des slackers à la Beck, mais version voisin sympa plutôt que chic freak à la Ariel Pink. À vrai dire, DeMarco serait l’incarnation paradoxale de son époque : ni anonyme ni star, juste le type du coin qu’on retrouve presque par hasard en une de Pitchfork.

Un partisan du moindre effort quand même assez doué pour que ce moindre effort suffise. Ses disques avancent comme un journal intime sans fin, entre EP trop longs, LP trop courts, maquettes relâchées et projets parallèles – Makeout Videotape pour le fuzz pop des débuts, Five Easy Hot Dogs en 2023 pour l’instrumental en roue libre. Sa discographie ressemble à un chantier permanent, un work in progress jamais terminé – on y circule comme dans une maison d’étudiant, un peu bordélique quoiqu’accueillante. Comme s’il ne faisait rien, il sort pourtant des chansons immédiatement sifflotables, à la pluie ou au soleil. Il est d’autant plus «cool» qu’il ne revendiquerait rien : normcore, héros hipster malgré lui, modèle d’identification instantané, DeMarco, c’est le slacker devenu symbole, le voisin qui s’est hissé au rang d’icône pop des années 2010 sans trop se casser.

Freak domestiqué

Apparu discrètement dans les années 2000, Mac DeMarco s’installe d’abord comme musicien de garage dans sa ville natale d’Edmonton, avant de rallier Vancouver puis Montréal. Auteur-compositeur-interprète, multi-instrumentiste, producteur en chambre : il fait tout lui-même, avec ce côté «cheap». Pas de guitare vintage hors de prix, son instrument fétiche est une Stratocaster japonaise achetée une trentaine de dollars à seize ans, qu’il triture depuis à coups de pédales d’effets bancales. Dans les années 2010, l’underground n’est plus forcément marginal, il a sa scène comme ses blogs, le freak devient fréquentable et DeMarco s’y glisse naturellement, porté par un faisceau d’influences hétéroclites : Shuggie Otis et sa soul psychédélique, Steely Dan et son élégance soft rock, Jonathan Richman et sa naïveté, mais aussi Haruomi Hosono, pionnier japonais du psyché-pop tropical et futur membre de Yellow Magic Orchestra.

Ce patchwork, Mac le cuisine avec les moyens du bord. Le label new-yorkais Captured Tracks signe le Canadien début 2012. Pour compagnons d’étiquette, DeMarco se retrouve avec Jack Tatum de Wild Nothing, fils spirituel de Sarah Records (le splendide Gemini en 2010) ou avec Luis Vasquez de Soft Moon disparu prématurément l’an dernier. Dans ce catalogue, il choisit le contre-pied avec Rock and Roll Nightclub. Quatre morceaux à la fois croquis et caricatures : voix ralentie façon crooner ivre, guitares gluantes, faux jingles radio. Sur Moving Like Mike, il répète trois phrases sur un riff acoustique minimal, entre parodie et gimmick dada. Sur scène, il joue les pitres, boit au goulot des bouteilles de Jameson et fait hurler le public entre deux ballades sucrées salées. Mais ce désordre ferait office de signature : l’énergie potache d’un next-door buddy doublée de la sensibilité d’un songwriter appliqué. Pour remixer le slogan d’un certain fast-food qui commence par la même lettre que le Canadien : «Ça se passe comme ça chez Mac.»

Crooner malgré lui

Derrière la blague, il y a les chansons. Dès 2 (2012), DeMarco impose un style qui dépasse le vernis lo-fi. L’album paraît léger, voire anodin, mais il dévoile une écriture capable de transformer l’ennui suburbain en vignettes mélodiques. On se souvient de Freaking Out the Neighborhood, titre cathartique écrit pour apaiser ses parents, ou de Ode to Viceroy, déclaration d’amour à… ses clopes préférées. Il y a aussi l’adolescence qui traîne, les banlieues sans horizon, l’idéalisation du passé. Derrière la désinvolture se devine une tristesse tenace. Pitchfork et NME adoubent DeMarco, qui passe du statut de farceur à celui de songwriter sérieux. Son chant doux-amer, son usage subtil du chorus sur la guitare, sa manière de tourner autour de trois accords comme s’il s’agissait d’une énigme existentielle : ses morceaux possèdent une simplicité trompeuse. Avec Salad Days (2014), DeMarco franchit un cap. Présenté sur le plateau de Conan O’Brien, il se faufile jusque dans les talk-shows américains, sans perdre son flegme.

L’album paraît le 1er avril – ce n’est pas une blague – et obtient de nouveau le label «Best New Music» de Pitchfork. La mélancolie grimpe d’un étage : Chamber of Reflection renvoie autant à la solitude d’une chambre d’étudiant que la méditation bouddhiste; le morceau sample le groupe japonais Shigeo Sekito. Le clown fait place à l’introspectif. L’année suivante, DeMarco sort Some Other Ones, neuf instrumentaux bricolés et décrits par lui-même comme une «bande-son pour barbecue». Encore un clin d’œil : du Mac DeMarco à écouter bière à la main, comme si ses chansons ne demandaient rien d’autre que d’accompagner l’ordinaire. Cette désinvolture masque mal la discipline du musicien, qui enchaîne avec Another One la même année. Ce mini-album contient quelques morceaux charmeurs et charmants : la chanson-titre, No Other Heart, I’ve Been Waiting for Her… Tous simples sans être simplistes et clairs comme de l’eau de vaisselle.

Rock’n’roll gueule de bois

Après l’énorme One Wayne G (2023), 199 morceaux éparpillés comme les pages d’un journal intime ouvert au hasard, et Five Easy Hot Dogs, suite instrumentale enregistrée en road trip et accueillie avec tiédeur, on aurait pu croire que Mac DeMarco allait ralentir. Mais non : le Canadien a publié ce vendredi Guitar, disque resserré qui concentre son écriture autour de son instrument fétiche. Tout est fait maison : composition, enregistrement, mixage, pochette où il pose sur le canapé, casquette en tête et chien à côté, le tout sur son propre label, Mac’s Record Label. L’album garde sa nonchalance et s’aventure encore vers le dépouillement. Entre l’exaltation et le désarroi, il trace la ligne de crête d’un parcours mené en funambule. La guitare est reine : falsetto fragile sur Shining, arpèges paisibles de Sweeter, ballade à deux à l’heure sur un Phantom qui semble pouvoir s’interrompre à chaque instant. Holy prend la forme d’une récitation grave, tandis que Rooster se laisse porter par des lalala progressifs.

Ce qui frappe, c’est la lenteur. Chaque titre paraît engourdi, comme si DeMarco composait en plein soleil, bière à la main, entre deux siestes sur le transat. Les chansons sont courtes, laissées en suspens ou alors, elles se suffisent à elles-mêmes, c’est selon. Une impression de musique d’appoint, presque de library music, comme si elle attendait d’être recyclée dans un film ou une série. Mais c’est aussi ce qui fait sa force : le côté «servez-vous», ces morceaux disponibles pour l’oreille comme une terrasse l’est pour l’été. Cette paresse apparente rejoint l’image de toujours : faux slacker, vrai artisan. Derrière l’allure d’étudiant attardé, DeMarco continue de tenir seul la barre, fidèle à sa guitare bon marché et à son humour fatigué. On peut trouver la formule répétitive, on peut se lasser de son tempo alangui, mais impossible de nier l’effet produit : ses chansons collent à la saison, elles s’écoutent les pieds dans le sable ou sous la pluie fine d’une fin d’après-midi ou bien de vacances.

Guitar, de Mac DeMarco.

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