Tout dernièrement, la scène rap s’agitait autour de ses deux ambassadeurs majeurs : Kanye West et Drake. En jeu? Qui des deux allait sortir le meilleur album en cette fin d’été, entre Donda pour l’un et Certified Lover Boy pour l’autre.
Bref, toujours la même rengaine dans un milieu où l’égocentrisme cache les (bonnes) intentions artistiques. Un énième match, comme lorsque le duo réglait ses comptes sur un terrain de basket, heureusement éclipsé cette année par Little Simz, qui ne se contente pas du rôle d’arbitre, reléguant toute la concurrence sur le banc.
Attention, Simbiatu Ajikawo, née il y a 27 ans du côté d’Islington, dans le nord-est londonien où la musique se mixe à gros bouillons, n’a rien d’une découverte. Elle confirme seulement, à son rythme et sans le besoin de prendre toute la place, son talent et son potentiel, déjà observés depuis son second disque, Stillness in Wonderland (2016). Encensée par Mos Def, Jay-Z et Kendrick Lamar, adoubée par Damon Albarn (qui l’a invitée sur une chanson de Gorillaz), Little Simz n’en garde pas moins les pieds sur terre.
Little Simz, malgré son surnom de poche, a des envies XXL!
Car aux soutiens, même de poids, elle répond par une indépendance farouche et un nouvel uppercut : Grey Area (2019), album qui devrait prétendre au statut d’œuvre culte. Dessus, quelques évidences : sa voix fascinante, son flow élastique, sa mélancolie très soul (qui a parlé de Lauryn Hill?) et des idées larges, que seul son propre label (Age 101 Music) et son ami d’enfance Inflo (collaborateur, entre autres, de The XX et Michael Kiwanuka) peuvent contenir. Sometimes I Might Be Introvert confirme d’ailleurs l’examen : Little Simz, malgré son surnom de poche, a des envies XXL!
Elle l’avait déjà affirmé – et de quelle manière! – avec un premier morceau grandiloquent, sorti avant tous les autres : Introvert, boléro épique porté par des cuivres orchestraux et une imagerie baroque. Avait-elle alors placé la barre trop haut? La rappeuse répond aujourd’hui avec dix-huit autres titres (dont quatre interludes) qui ne perdent rien en qualité, bien au contraire. Plein de souffle, l’album brasse la soul, le funk, le néo-jazz, le hip-hop «old school» comme le plus moderne, et les mélodies enfantines dans une vibrante épopée d’une heure.
D’une certaine manière, l’esprit de Sault, collectif mystérieux au groove fédérateur, lui aussi originaire de Londres, n’est jamais bien loin : on y trouve déjà deux de ses représentants (Inflo, encore lui, et la chanteuse Cleo Soul), certaines de ses préoccupations (la cause noire, la condition féminine…) et une philosophie qui ne se négocie pas : celle d’être honnête et sans retenue. Des attributs portés par Little Simz dans ce nouveau disque, véritable voyage initiatique aux productions chatoyantes.
Elle même ne s’en cache pas et le définit de la sorte : «Un film Disney à la Mary Poppins avec un twist hip-hop!», écrit-elle. Sometimes I Might Be Introvert est donc cela : une invitation à se reconnecter à l’insouciance de l’enfance, à cette énergie du moment, à cette fougue que rien ne retient, à cette émancipation qui se moque du regard des autres. Une fois encore, la rappeuse prouve que la sincérité est le socle de toute création, surtout quand on y met l’art et la manière. N’en déplaise aux amateurs de «clashs». Little Simz leur laisse la cour de récréation, déjà trop étriquée pour elle.
Grégory Cimatti
Little Simz
Sometimes I Might Be Introvert
Sorti le 3 septembre
Label Age 101
Genre hip-hop