Le Quotidien Indépendant Luxembourgeois
Selon de nombreux avis, ce qui frappe d’emblée avec Baby Rose, c’est ce chant unique, qu’il plaise ou non. Celui-ci arrive au bout d’une trentaine de secondes sur le morceau d’ouverture, Go, sorte de soul aux échos envoûtants.
La jeune femme, 28 ans, ne tergiverse pas, et à peine les premières notes esquissées qu’elle lâche sa voix, rauque et veloutée. Un puissant contralto d’où émerge une mélancolie, un chagrin non dissimulé. La référence à la grande Nina Simone est immédiate.
Je n’ai besoin de personne d’autre pour me montrer le chemin
Pourtant, l’artiste de Washington D.C., aujourd’hui basée à Atlanta, est catégorique et l’affirme dans le titre Fight Club : «Je n’ai besoin de personne d’autre pour me montrer le chemin.» Indépendante, elle persiste et signe sur Bandcam : «Je ne suis pas seulement une chanteuse à la voix rare. Je suis également quelqu’un qui a des choses à dire.» On comprend le message à l’écoute de Through and Through, qui évoque l’amour dans tout ce qu’il a de plus cruel, avec son lot de ruptures et de moments de solitude.
Mais Baby Rose ne se laisse pas abattre et s’appuie sur les vertus cathartiques de la musique. Dans cette valse des sentiments, qui la voit ballotter entre plaisir et regret, elle préfère s’affirmer plutôt que de sombrer. Oui, ce disque parle de guérison et de la manière d’appréhender la vie, avec toutes les déchirures que cela implique. «Si je fais de la musique, c’est pour m’aider à surmonter les épreuves», confirme-t-elle, catégorique. Une philosophie qui l’a déjà aidée par le passé.
Très tôt, Jasmine Rose Wilson (son vrai nom) a pris conscience de ses dispositions en lisant à haute voix des poèmes en famille. Victime de brimades pendant son enfance et son adolescence, elle trouvera refuge dans le chant et le piano, inspirée par Billie Holiday et Janis Joplin. Puis viendra l’heure des succès, d’abord avec la mixtape From Dusk Til Dawn (2017), suivie d’un premier album deux ans plus tard (To Myself), acclamé, qui la rapproche notamment de SZA, J. Cole, James Blake et Kehlani. Au bout de ses multiples collaborations, une nomination pour les Grammy Awards.
Même si ses peines de cœur et son chaos intérieur visent juste et marquent les esprits pour son honnêteté, sa vulnérabilité, ce n’était pas suffisant. Il lui fallait encore passer un cap, ce qu’elle va faire avec la pandémie. Durant le flottement mondialisé, elle prend des cours d’écriture et se plonge dans le grand bain de la pop. Hyper-productive, elle va alors enregistrer plus d’une centaine de chansons, selon le décompte du New York Times. Seulement onze d’entre elles vont se retrouver sur Through and Through, disque luxuriant, tout en énergie, et sans la moindre fausse note.
Tout sonne parfaitement, en effet, dans cette production opulente et sexy. Avec maîtrise, Baby Rose, portée par des chœurs délicats et des guitares rêveuses, transperce l’âme de l’auditeur et le berce à travers une succession de styles et de bonnes idées. Ici, le R’n’B sirupeux, la soul à l’ancienne, le funk psychédélique et la pop émotive s’enlacent sans retenue au cœur d’une instrumentation riche et d’une production «groovy». Avec, pour lier le tout, un son hanté, atmosphérique, qui donne à cette voix une grâce mystérieuse, comme venant d’une autre dimension.
Mais Through and Through n’a rien du songe, et s’ancre aujourd’hui dans une réalité qui soutient une évidence : Baby Rose a du charme à revendre et un talent qui la rapproche des plus grandes. Comment d’ailleurs en douter après avoir écouté Stop The Bleeding, ballade déchirante et sommet émotionnel de l’album, qui sonne comme la bande originale d’un James Bond. L’occasion de rappeler qu’avec le titre Heavy Is the Head, Baby Rose est aussi à l’affiche de Creed III, film où il est question de combat et de résilience. Des attributs qui lui correspondent à merveille. Ceux d’une artiste déterminer à vivre, à aimer et à créer par elle-même. Coûte que coûte.
Baby Rose – Through and Through
Sorti le 28 avril
Label Secretly Canadian
Genre R’n’B / soul / funk
