Originaire de Brighton, le groupe Lambrini Girls sort son premier long format avec Who Let the Dog Out, un condensé réussi de ce que ces jeunes femmes proposent sur scène. Elles seront aux Rotondes le 19 mars prochain.
Le monde va mal, c’est un fait, entre le climat qui bat de l’aile, le fascisme en mode décomplexé et des dirigeants laxistes, pour ne pas dire complices. Pour monter au créneau et pointer du doigt cette triste situation, démarche ô combien louable et nécessaire par les temps qui courent, il y a principalement deux courants. D’un côté, celui qui use de la bienséance et de la bienveillance, réclamant des changements sans hausser le ton, tout en veillant à ce qu’aucun ni aucune ne soit lésé(e) dans la bataille. Et de l’autre, celui qui, animé par une fureur à fleur de peau, braille et dégomme à tout va, cherchant l’électrochoc comme le sucre sur la dent cariée. Le groupe Lambrini Girls est de cette catégorie. Difficile, d’ailleurs, de faire autrement quand on se réclame du punk : c’est dans son ADN même. Et les exemples historiques ne manquent pas quand il est conjugué au féminin.
Avant d’arriver à ce duo en colère, en l’occurrence la chanteuse Phoebe Lunny et la bassiste Lilly Macieira – soutenues par une batteuse qui porte (parfois) la cagoule à trous –, on peut remonter l’histoire jusqu’aux années 1970, où les premiers grondements féminins se sont fait entendre. Ainsi, dans la foulée de Janis Joplin et Grace Slick (Jefferson Airplane), il y a eu Patti Smith, pionnière qui prouvait que la femme n’était pas qu’un joli bibelot dans la vitrine masculine du rock. Suivront d’autres «rebelles», à l’image, pêle-mêle, des Slits, Nina Hagen, Lydia Lynch, Debbie Harry, Joan Jett ou Siouxsie Sioux. Au milieu des années 1980, le phénomène va même se donner un petit nom : Riot grrrl, à prononcer dans un grognement fédérateur derrière lequel se mobilisent certaines voix porteuses comme L7, Courtney Love ou Babes in Toyland, sans oublier Kathleen Hanna et son groupe au nom qui claque comme un coup de pied dans les testicules : Bikini Kill.
La recette? Du lourd et du débraillé
La liste s’allonge aujourd’hui avec ce spécimen que sont les Lambrini Girls qui, à l’instar de leurs aînées, conjuguent leur passion pour la musique qui remue et les messages sans filtre qui frappent tous azimuts. Car ce ne sont pas les sujets qui manquent : le patriarcat, le racisme, les violences policières, la bourgeoisie, l’homophobie… S’il fallait trouver une cible derrière toutes ces contestations, ce serait le «mâle blanc» d’un certain âge et statut, ici mis en pièces sous un déluge de guitares et de rythmes explosifs. La formation, originaire de Brighton, n’en est toutefois pas à son coup d’essai, même si Who Let the Dogs Out est son premier long format. Avant de lâcher les chiens, il y a eu une première offrande volcanique, l’EP You’re Welcome (2023), illustré… par un étron entouré de flammes. Une promesse d’enfer que le collectif allait ensuite reproduire sur de multiples scènes, dont celle de Glastonbury, sans changer de recette : du lourd et du débraillé.
Mais le militantisme et la rage, aussi honnêtes soient-ils, ne sont pas forcément suffisants pour faire un bon album. Il faut aussi se montrer malin, ce qu’a fait la formation anglaise en s’entourant du producteur Daniel Fox qui, avec Gilla Band, n’est pas franchement novice en matière de son qui scotche au sol et rappelle toute la force de la gravité. À ses côtés, un autre gaillard de la même veine, Seth Manchester, aux manettes notamment des derniers albums de Battles, Daughters ou encore Model/Actriz. Bien évidemment, sur les onze titres de ce disque (pour une petite demi-heure d’écoute), il est question de dissonance et de puissance, condensé réussi de ce que ces jeunes femmes proposent sur scène. Les Rotondes, qui les accueilleront le 19 mars, sont averties.
Toutefois, ce qu’elles définissent comme une «stupid bitch music» sait également caresser dans le sens du poil, avec ses mélodies cachées sous la fureur. Mais avouons-le, le petit plus des Lambrini Girls est le chant de leur front woman-guitariste, Phoebe Lunny, sec et rentre-dedans, avec ce petit accent British qui fleure bon la rue et les pubs. Si l’Angleterre des marginaux, des excités et des oubliés se cherchait un porte-voix, comme l’a été Jason Williamson (Sleaford Mods), qu’elle arrête de fouiller : avec elle, en effet, et ses deux copines à ses côtés qui envoient la sauce, on est prêt à monter les barricades face aux réactionnaires et conservateurs qui pullulent. Oui, aujourd’hui, il est difficile de ne pas être exaspéré. Reste à choisir son camp.
Lambrini Girls, Who Let the Dogs Out. Sorti le 10 janvier. Label City Slang. Genre punk / rock