Elle a quitté le Luxembourg pour le Portugal, exil qui nourrit de bout en bout son second album, Kali. Priscila Da Costa, connue sous le nom de son projet Ptolemea, raconte cette renaissance et une musique à son image : puissante et pleine d’espoir.
Est-ce du doom? Du post-metal? Du dark-rock? Au diable les catégorisations! Avec Ptolemea, mieux vaut en effet prendre de l’altitude avec cette musique atmosphérique qui n’oublie pas les mélodies, et cette ambiance mi-gothique, mi-mystique dont s’échappent de beaux rayons de lumière. L’œuvre de Priscila Da Costa qui, depuis 2018, montre son appétit pour les ambivalences et les compositions haut perchées, qu’elle enrichit de sa voix puissante à l’aise dans toutes les circonstances. Un rituel qui, après un premier disque en 2023 (Balanced Darkness), s’est étoffé des peines et joies de l’exil suite à un départ pour le Portugal. Un retour aux sources, mieux, une renaissance qui, chez elle, se matérialise par un nouvel album, Kali, où s’imposent huit titres à combustion lente. Avant sa sortie la semaine prochaine et un retour au Luxembourg dans la foulée pour y jouer avec sa bande (Sarah Kertz, Remo Cavallini, Michel Spithoven), elle explique pourquoi cette production, plus riche et plus maîtrisée, est à voir comme un lâcher prise, une ouverture, un nouveau chapitre. Entretien.
Depuis 2018, la musique de Ptolemea a changé, sautant du rock à quelque chose de plus expérimental et atmosphérique. Pouvez-vous en donner une définition?
Priscila Da Costa : J’ai toujours voulu avoir un côté mystique dans ma musique. Quelque chose d’assez planant, d’éthéré, d’irréel. Il y a donc un gros travail sur les textures. Et dessus, il y a cette accroche rock, qui me permet d’allier une sensibilité à une puissance, une force, une rage dans le chant. Oui, j’aime bien gueuler (elle rit).
Dans le même sens, quel est le public de Ptolemea?
Il est très varié : il y a les fans de metal, des amateurs de rock et de folk, et d’autres qui aiment les voix puissantes, les accroches plus mélodiques… Sans oublier ceux qui sont là par hasard, plus habitués à écouter les chansons qui passent à la radio. Ça m’est arrivé d’en rencontrer, et certains disent avoir été captivés par l’émotion. C’est une remarque qui fait plaisir, car c’est une musique qui ne s’appréhende pas facilement.
La semaine prochaine arrive Kali, second album qui, promet-il, ouvre un «nouveau chapitre». C’est-à-dire?
Tout ce que je vis se reflète dans ma musique. Et ces derniers temps, j’ai connu de sacrés changements : je suis sortie d’une relation de dix ans, j’ai déménagé au Portugal… Ça m’a permis de renouer avec mes racines, et surtout, de changer de mentalité, de façon de penser. Ça m’a libérée de tous ces freins qui vous empêchent d’avancer. Mes bases sont nouvelles : plus légères, plus matures, plus saines.
En quoi, alors, cette évolution se reflète-t-elle dans Ptolemea?
Kali ressemble à ce que je suis aujourd’hui : plus enracinée, plus authentique, plus concrète. Ça se remarque dans le son : il y a deux ans, avec le précédent album, le synthétiseur est arrivé, ce qui a eu un impact dans l’écriture. On sentait que l’on explorait, que l’on avançait à tâtons… On a eu du mal à le contenir, ce qui n’est plus le cas de ce disque. Il n’est pas volatile, mais, au contraire, sûr de lui.
Justement, le nom Kali s’inspire d’une déesse hindoue et d’une philosophie qui dit qu’il faut tout détruire pour mieux renaître. Est-ce un sentiment que vous partagez?
Clairement. Ces deux dernières années, j’ai dû laisser beaucoup de choses derrière moi : une relation sentimentale, des amitiés, des habitudes… C’était détruire, au sens figuré, un mode de vie, un certain confort. Et là, je reconstruis quelque chose de nouveau. Dans ce contexte-là, oui, il y a eu, à mon sens, une destruction et une renaissance.
Cela implique-t-il qu’il faut également oublier tout ce qui a été fait jusque-là?
Non, surtout pas! Il faut tout prendre, les bonnes comme les mauvaises expériences. Ce sont des leçons de vie importantes car elles permettent d’avancer, de murir, de grandir, de voir les choses avec un regard neuf.
Vous serez au Luxembourg fin novembre pour y présenter Kali. Appréhendez-vous ce retour?
Pas du tout. J’y reviens d’ailleurs régulièrement car j’y ai toujours mon activité principale. Après, c’est sûr, c’est au Portugal que je compte me développer, me construire un réseau… Du coup, je n’arrête pas de faire des allers-retours! Pour tout ça, non, je n’appréhende aucunement. J’ai même une certitude : le concert à la Kulturfabrik va être superbe.
Les neufs chansons de Kali sont détaillées, procédé rare, à travers un podcast. Raconter ce voyage personnel, était-ce important de le partager?
Je ne saurai l’expliquer mais j’ai ressenti ce besoin d’aller dans le détail. Il y a tellement de tabous et de non-dits autour de cette question de changement. Ce nouveau départ, jamais évident, certains l’idéalisent, et d’autres au contraire en ont peur. D’où cette envie de l’aborder frontalement, d’évoquer les moments de doute, de solitude… Selon moi, le plus important, c’est de ne pas se taire, de ne pas garder tout ça pour soi. Il faut s’ouvrir! Si mon expérience et ce podcast aident certaines personnes à continuer leur transformation, j’en serai heureuse.
Avez-vous pris plaisir à revenir sur la genèse et les idées qui habitent cet album?
Oui, c’était sympa de réexplorer les chansons, de les raconter en vidéos. Je n’ai pas vu le temps passer! Et franchement, faire un podcast, c’est mieux que de gérer la paperasse. Ça, ça me saoule!
Être une «one woman band», est-ce un statut difficile à porter?
C’est surtout un choix à assumer. Dès le début, je voyais Ptolemea comme un groupe mais très vite, j’ai eu du mal à le mettre entre les mains des autres. Oui, j’aime être sur scène avec les musiciens, et même avoir leurs avis, mais ce projet est très personnel. C’est à moi, toujours, d’avoir le dernier mot. J’ai parfois du mal avec le concept de démocratie (elle rit).
Dans ce nouvel album, vous chantez aussi bien en anglais qu’en portugais. Pourquoi ce choix?
J’avais déjà une chanson en portugais sur le précédent album mais je voulais explorer l’idée en profondeur. Dans ce sens, mes deux autres groupes (Judasz&Nahimana et Sinistro) m’ont permis de me lâcher. Pour Kali, tout s’est fait au feeling… C’est en tout cas un plaisir de renouer avec sa langue natale. Mon écriture est plus poétique et parfois, amène à des surprises : la dernière fois, j’étais en train de griffonner un texte, et d’un coup, un mot me vient sans que j’en connaisse la signification. Je regarde dans le dictionnaire, et c’est exactement ce que je voulais dire! Bizarre, non?
Dans Kali, il y a une chanson qui dénote : Aqui, Ali, Acolá, qui est un clin d’œil au fado…
En réalité, elle remonte à quatre ans, au moment où j’ai justement ressenti ce besoin de me reconnecter avec le Portugal. Je l’ai écrite en un après-midi, comme ça, d’une traite. Mais son ADN, avec cette guitare classique et ce chant, ne collait à rien d’autre. Aujourd’hui, ça fait sens avec ce retour aux sources.
Est-ce un geste audacieux de placer ce genre de chanson au milieu d’autres qui ne lui ressemblent pas?
Moi, j’aime cette rupture. Et puis, elle suit un morceau purement instrumental et un autre a capella. Elle est à sa bonne place. Après, tout ça n’est qu’une question de goût! À l’époque, Chelsea Wolfe était aussi du genre à enchaîner les morceaux sombres avant de sortir sa guitare sèche. Une façon de faire redescendre tout le monde, de remettre les pieds sur terre.
Qu’attendez-vous de ce disque?
Personnellement, j’ai donné mon maximum. J’aime le résultat et je trouve qu’il y a une évolution sensible par rapport à mes anciennes productions. Après, j’espère que les gens vont être réceptifs, qu’ils vont voir tout l’espoir qui se cache derrière ce rock sombre. Idéalement, j’aimerais aussi que Ptolemea se fasse un nom au Portugal. Jusque-là, je n’ai que de bons retours.
Kali est un disque né d’une démarche cathartique. Comment vous sentez-vous alors aujourd’hui?
Mieux. Avant, j’étais du genre à trop m’adapter aux gens et aux situations. Maintenant, je ne crains plus de défendre mes opinions. Je ne me tais plus! C’est important car dans ce métier, il faut soutenir une position, maintenir une assurance. Pour moi, c’est un grand pas en avant, même si, évidemment, ça risque de déplaire à d’autres… Dans ce sens, oui, je suis une femme neuve. Je n’ai plus peur de dire, ni de montrer qui je suis.
Ptolemea a toujours navigué entre mélancolie et espoir. Où en êtes-vous dans cet équilibre délicat?
Toujours en balance! De toute façon, l’un ne va pas sans l’autre : la lumière a besoin d’obscurité, et inversement. C’est un tango permanent où les deux sont en train de danser.
Kali, de Ptolemea.
Sorti le 6 novembre.
«Release show»
Le 22 novembre à 19 h 30.
Kulturfabrik – Esch-sur-Alzette.
Support : Blue-ish & L’Éphémère.
Faire un podcast, c’est mieux que de gérer la paperasse!
Ptolemea, c’est un tango entre ombre et lumière