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[Musique] Jon Hopkins en thérapie électronique


Jon Hopkins fait de l’electro «cérébrale», si l'on part du principe qu'il ne vise pas, en premier lieu, les pistes de danse. (Photo : imogene barron)

Avec Ritual, Jon Hopkins diffuse du luxe, du calme et de la volupté, en appuyant sur les bons boutons électroniques. Et si la musique était le meilleur des tranquillisants ?

Si, au cinéma, il y a les «feel good movies», la musique est, par-delà les genres, un art qui peut nous rendre heureux. Tournons-nous vers l’electro. En 1988, c’est la face A du «Second Summer of Love»; la face B a lieu l’année suivante, celle du French Kiss de Lil’ Louis, avec sa boîte à rythme, sa caisse claire et les cris lascifs de Shawn Christopher. Construit sur une seule note, le fa naturel, avec ses changements de tonalités, le titre se base non pas sur les battements du cœur, mais sur les mouvements sexuels; il en suit, du moins, la potentielle cadence. Entre la tension et le relâchement, French Kiss s’étire comme un élastique, ralentit, progressivement, jusqu’à s’arrêter, marqué par l’expression du plaisir.

Vingt ans après, Sébastien Tellier sort Sexuality, avec Guy-Manuel de Homem-Christo, la moitié des Daft Punk. L’auteur de cette odyssée sensuelle dit avoir été en quête des «bonnes notes pour le bassin», afin que son electro-pop soit brûlante au dedans. En gros : si le «baiser à la française» de Lil’ Louis crée de la tension sexuelle, la «sexualité» de Sébastien Tellier détend. Et les deux nous rendent heureux. La musique adoucit les mœurs? Mieux, elle est thérapeutique. Les études scientifiques l’ont largement prouvé : en écouter libère, notamment, de la dopamine et de l’endorphine.

Pour rester sur l’electro, en tout cas sur les sonorités synthétiques, certains genres parlent d’eux-mêmes, à travers le nom qui désigne l’état recherché : «trance», «chill»… Après la fête, il y a l’«ambient house» – des berceuses pour les raveurs. Une compilation de Jon Hopkins, en 2015, résume l’idée : Late Night Tales (2015). Il en va de même pour la «lounge», genre qui comporte, en général, moins de 90 battements par minute, car le but consiste à calmer le cœur. Il y a encore le «new age», genre fort utilisé lors de séances de yoga, sinon pendant un massage de médecine dite «alternative», pures plages de repos où les bruits de la nature se faufilent dans le séquenceur. Il s’agit de libérer le cerveau de toute la crasse qui l’engraisse et qui, par conséquent, l’empêche d’avancer. Il s’agit de faire le vide. La musique devient alors un massage du cerveau.

Musique chimique

Chaque genre musical possède sa drogue : LSD et la psilocybine pour le rock psyché, herbe pour le reggae, MDMA pour la techno et la house. Tous les sous-genres relaxants renvoient alors à des somnifères? Non : on ne parle pas ici de musique soporifique ou d’un simple son qui tire sur la langueur. Car il n’est pas question de faire bâiller, mais bien de soigner. C’est moins de la musique d’ascenseur que de celle qui fait accéder au septième ciel.

Si composer de la techno-house à destination des «dancefloors» signifie se soucier des oreilles des danseurs, il peut être reproché, à l’electro un poil trop expérimentale, de tourner le dos à l’auditeur. Soit de jouer une musique thérapeutique, oui, mais que pour celui qui la compose. «IDM» est l’acronyme d’«intelligent dance music» : si l’intellect domine trop l’émotion, c’est l’ennui qui l’emporte, quand la techno, musique du lâcher-prise, est hédoniste.

Jon Hopkins fait de l’electro «cérébrale», si l’on part du principe qu’il ne vise pas, en premier lieu, les pistes de danse. Sauf que l’Anglais a une base de musicien classique : il joue du piano depuis l’âge de cinq ans, puis l’étudie au Royal College of Music. Et avant d’être un technicien surdoué, Hopkins travaille avec Coldplay, Imogen Heap et Brian Eno. Ce dernier incarne la conciliation parfaite entre la pop et le cérébral, entre les paillettes glam-rock de Roxy Music et les théories musicales, mais aussi entre U2 (qu’il a produit) et la «musique d’aéroports», selon le titre d’un de ses albums en 1979. Jon Hopkins ne se contente pas de dessiner, avec ses machines, un décor sonore : sa musique vise, droit dans les yeux, l’immersion. Avec lui, le cerveau danse.

Thérapie par la brutalité

Dans Immunity (2013), les deux premiers titres, We Disappear et Open Eyes Signal, sont des déflagrations techno : au milieu des «glitchs» et autres bugs, des superpositions d’échantillons et de «beats» perforants, le Londonien joue sur l’hypnose, pour jumeler la transe et la relaxation, comme une forme de thérapie par la brutalité. L’album bascule progressivement vers l’ambient, en fait vers le piano et le silence, jusqu’à ce que le vent soupire sur les vagues, pour aboutir à la sérénité, à la paix, comme l’état flottant qui succède à l’orgasme.

Brian Howe de Pitchfork écrit, dans sa critique de Singularity (2018) : «Jon Hopkins puise dans quelque chose de clairement spirituel et médicinal, il y a une envie de se transformer et de guérir à travers un rituel de transe fusionnant techno et pop.» Et l’artiste de répondre : «J’ai fait ce disque pour suivre la construction, l’apogée et la libération d’une expérience psychédélique.» En 2021, pour présenter Music for Psychedelic Therapy, album calculé pour durer le temps d’un trip sous kétamine, Hopkins parle de «thérapie psychédélique» comme d’un nouveau genre musical.

Machine à rêves

Son nouvel album, Ritual, provient de l’expérience psychédélique de la «dreamachine». Inventée en 1959 par Brion Gysin et Ian Sommerville, ladite machine stimule le nerf optique par le biais de lumières vacillantes, en modifiant les oscillations électriques du cerveau. Résultat : l’état ressenti est à mi-chemin entre la relaxation somnolente et la perte de contrôle paisible sous psychotropes. Conçu à la suite d’une commande d’un collectif d’artistes, de scientifiques et de philosophes, Ritual devient alors la bande sonore «officielle» de la «dreamachine».

Tous les titres s’enchaînent sans interruption, comme un plan-séquence, mais en son. Il y a des basses profondes, des nappes de synthé célestes, des voix enfouies entre les lignes mélodiques, des clochettes, des bruits de la nature, de la dégénérescence, de la défragmentation et du néant. Jusqu’à cette conclusion au nom très rassurant, Part VIII : Nothing Is Lost. Le cerveau danse encore. C’est bien ainsi que le corps se sent mieux.

Ritual, de Jon Hopkins. Domino.

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