Dans le cadre des Congés annulés, les Rotondes ont invité pour la première fois au Grand-Duché le grand musicien néerlandais Joep Beving. Un moment rare à ne pas rater.
En seulement deux ans et deux albums, celui qui jouait pour le plaisir et pianotait dans sa cuisine est devenu un phénomène mondial de la musique classique, grâce aux plateformes de diffusion numérique. Dès l’écoute de ses premières notes de piano, un monde singulier s’ouvre à ceux qui l’écoutent et ne se refermera qu’à la fin de l’album ou du concert, c’est une véritable bulle qu’il nous offre d’une déconcertante simplicité. À quelques jours de son concert, pour la première fois au Luxembourg, Joep Beving a accepté de revenir sur sa fulgurante ascension et son univers musical.
C’est seulement à l’aube de vos 40 ans que votre nom fait référence dans le monde musical. Comment sont nées votre relation à la musique et votre envie d’en faire quelque chose?
Joep Beving : C’est une histoire toute simple au départ. Comme beaucoup de familles, nous avions un piano à la maison lorsque j’étais enfant et j’ai commencé mes premières explorations vers l’âge de six ans. J’ai adoré cette sensation, mais je détestais les cours classiques de piano. À 14 ans, j’ai formé mon premier groupe avec des copains de l’école de musique, c’était une période super drôle. Je n’ai jamais su me décider sur mon avenir, en tout cas, pas au moment de choisir mes études supérieures : j’étais persuadé que je ne pourrais pas vivre de la musique, donc j’ai choisi une autre voie. Je continuais à ce moment-là mes études de piano au Conservatoire, mais de nombreuses blessures au poignet m’ont obligé à mettre un terme à ma pratique du piano. Alors que mes études me destinaient à travailler pour l’université ou l’État, j’ai choisi une autre option, et je suis allé travailler pour une société pour laquelle je créais des musiques pour les marques ou les publicités. Un bon moyen de toujours rester connecté à la musique. Je n’ai jamais su ou voulu, jusqu’à cette période-là, faire un réel choix ou prendre le risque de la carrière d’artiste.
Qu’est-ce qui a changé, après 15 ans de carrière auprès de cette société? Qu’est-ce qui vous a fait revenir au piano?
C’était une période difficile pour moi, j’avais le sentiment d’être déconnecté avec mon entourage et surtout avec le monde qui m’entourait. Le monde est devenu un endroit tellement dur que j’avais besoin de retrouver quelque chose qui me rendait heureux, dans la simplicité. J’ai eu la chance de garder le piano de ma grand-mère et comme il était là, chez moi, je me suis rassis devant les touches et j’ai recommencé à jouer, simplement pour moi. Je voulais trouver le sens de la beauté dans la simplicité et l’universalité de la musique, revenir à quelque chose de simple. J’ai tout de suite retrouvé le goût de la musique.
Votre univers est étiqueté musique classique, contemporaine, mais classique. Un domaine dans lequel peu réussissent, surtout en solo. Qu’est-ce qui vous a décidé à revenir à ce genre musical?
En fait, je n’ai pas prévu de faire de la musique classique ou ce que l’on peut appeler classique. J’ai d’abord commencé un projet électronique, mais j’étais dans une mauvaise passe et je ne trouvais pas l’énergie d’aller au studio tous les jours. Ça s’est fait naturellement! À cause de ce piano qui était là, disponible pour moi, il a un son incroyable en lui-même, il n’était pas utile d’y ajouter quoi que ce soit. Ma recherche de trouver l’essence des choses a abouti dans ce son simple, pur, parfait. J’ai longtemps cherché la beauté, à me reconnecter avec les capacités naturelles de l’homme, ses réflexes et émotions pures. Lorsque je me suis remis à jouer, j’ai commencé par jouer du jazz, mais la complexité ne me correspondait pas. J’ai enlevé quelques notes puis j’ai laissé la place aux silences, qui donnaient tout leur sens. En épurant, j’ai retrouvé des sensations, des émotions, j’ai trouvé la beauté dans la simplicité, j’ai même eu la chair de poule moi-même. Je veux créer de la musique simple pour des émotions complexes. Le monde actuel est tellement dur, il est difficile, voire impossible de s’ouvrir aux autres, d’exprimer et d’assumer ses émotions. Je voulais communiquer les miennes mais j’ai choisi d’en parler sans mot, de m’adresser ainsi au cœur plutôt qu’au cerveau.
Votre premier album, Solipsism, a été composé, joué et enregistré chez vous. En quelque temps, il est devenu un véritable phénomène mondial avec plusieurs millions d’écoutes à son actif. Quelles sont les coulisses de cette success-story?
J’ai composé mon premier album seul, à la maison, je l’ai enregistré à l’aide d’un ami et puis j’ai diffusé la musique à mon cercle de proches. Je voulais en faire quelque chose de tangible, je voulais rendre ma musique disponible donc je me suis inscrit sur les plateformes de diffusion numérique comme Spotify ou Apple Music. J’ai eu la chance que l’une de mes compositions se retrouve sélectionnée dans une des playlists les plus écoutées au monde. Lorsque j’ai atteint les premiers cinq millions d’écoutes – plus de 20 millions le 1er janvier dernier pour le seul titre Sleeping Lotus –, j’ai contacté la télévision néerlandaise pour raconter mon histoire, je me suis produit au célèbre Concertgebouw à Amsterdam et mon album est tombé, par hasard, à Berlin, dans les oreilles de Christian Badzura, producteur exécutif du célèbre label de musique classique Deutsche Grammophon. J’avais tellement peur de perdre l’inspiration et l’énergie que j’ai écrit le deuxième album tout de suite après la sortie de Solipsism, je l’avais déjà quand j’ai signé! Depuis, l’aventure continue… la musique est un langage universel qui a le pouvoir de nous unir, nous réunir, nous raconter des histoires, nous obliger à l’introspection. Elle a le pouvoir de nous donner ce frisson naturel qui nous parcourt quand l’émotion ne peut plus être contenue.
Entretien réalisé par Mylène Carrière
Rotondes – Luxembourg.
Samedi à 20 h 30. Dans le cadre des Congés annulés.