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[Musique] Jarak Qaribak : Dudu, Jonny et les copains


C’est une histoire d’amitié. Intime, puis universelle dans la démonstration. Un esprit de camaraderie qui, au départ, unit deux hommes, musiciens d’exception et artistes qui ont pris l’habitude de remettre au goût du jour les traditions folkloriques afin de leur donner un écho contemporain.

Soit d’un côté, Dudu Tassa, vétéran de la scène rock israélienne dit «alternative», également producteur et véritable prophète en son pays. On lui doit aussi depuis plus de dix ans, avec son groupe The Kuwaitis, des reprises de standards irakiens du plus bel effet.

De l’autre, l’homme de l’ombre de Radiohead et du plus récent The Smile, le guitariste Jonny Greenwood, cachant son côté touche à tout indispensable derrière sa mèche folle et le charisme de Thom York. Marié à une Israélienne (l’artiste Sharona Katan), lui aussi défriche large, nominé l’année dernière aux Oscars pour la BO du film de Jane Campion (The Power of the Dog), ou dénotant au milieu de l’ensemble du Rajasthan Express sur la pochette de Junun (2015), album typé associant chants soufis, cuivres et boîtes à rythmes, immortalisé par la caméra de Paul Thomas Anderson.

Oui, Jonny Greenwood, comme son copain Dudu Tassa, sont des citoyens du monde, ouverts, curieux, sensibles, et porteurs d’un message de paix. Comment encore en douter avec cette livraison commune, qui suit une toute première collaboration en 2009. Jarak Qaribak, qui pourrait se traduire par «votre voisin est votre ami», est en effet un disque melting-pot, un voyage hors des sentiers battus sur les terres du Moyen-Orient, avec des crochets par l’Algérie et le Maroc. L’idée, un brin naïve, est séduisante : imaginer que la région mette un temps de côté ses discordes, et laisse la musique, d’une richesse folle, s’exprimer pour elle.

Pour y parvenir, le duo a fait dans le concret, l’intelligible : d’abord, les neuf chansons, réunies donc sous un même drapeau, parlent toutes d’amour. Des classiques, comme ils disent, «dont la romance et le chagrin sont d’ordre personnel». En creux, il faut comprendre que leur démarche n’a rien de politique, bien qu’elle se soit confrontée à certaines difficultés matérielles et bureaucratiques. Car pour mieux souligner l’aspect multiculturel de leur action, il était question que chaque artiste invité soit associé à un titre venant d’un autre pays que lui.

L’album, mixé par Nigel Godrich (producteur et officieux sixième membre de Radiohead), brise alors les frontières : un titre yéménite (Ya Mughir al-Ghazala) est chanté par un Irakien, un autre de Jordanie (Ya ‘Anid Ya Yaba) interprété par un Syrien. À l’Égyptien Ahmed Doma, aussi, de célébrer une complainte algérienne des années 1940, tandis que la chanteuse Safae Essafi, de Dubaï, s’essaye au répertoire israélien (Ahibak). Sans oublier encore le Marocain Mohssine Salah Eddine, qui pose sa superbe voix sur le morceau égyptien Leylet Hub. Un brassage culturel annoncé avant chaque piste, comme pour marquer le coup.

Je m’imaginais ce qu’aurait fait Kraftwerk au Caire dans les années 1970

Au bout, Jonny Greenwood avouera que la référence qui lui a servi pour assembler et harmoniser ce patchwork était «d’imaginer ce que Kraftwerk aurait fait s’ils avaient été au Caire dans les années 1970». On lui laissera cette observation étrange pour mieux se concentrer sur son jeu de guitare tout en nuance, et ses touches électroniques délicates, en retrait. Car pour lui, transmettre une musique ne veut pas dire se l’approprier. Une philosophie partagée par Dudu Tassa, lui aussi un peu à l’écart, insufflant au disque sa sensibilité rock.

Cuivres, cordes, flûtes, claviers et percussions se mêlent ainsi à des instruments du Moyen-Orient (oud, rebab…) pour un résultat raffiné qui, d’une certaine façon, rehausse la qualité des originaux. Mais le plus important pour Jonny Greenwood et Dudu Tassa est ailleurs, bercé par cet espoir que la musique adoucit les mœurs, comme le reconnaît ce dernier sur le site dédié à cet effet, et pour qui tout s’influence, tout se mélange : cet album, «c’est comme une lettre dans une bouteille jetée dans l’océan», conclut-il. «Je ne sais pas qui la recevra, qui l’entendra, mais quelqu’un l’aimera.»

Dudu Tassa & Jonny Greenwood – Jarak Qaribak

Sorti le 9 juin

Label World Circuit Records

Genre world / rock