Après une longue attente, Ice in My Eyes sort enfin son troisième album, New Romantic. Confidences de celui par qui tout a commencé, Olivier Treinen, entre Michel Houellebecq, la famille musicale et des écharpes volant au vent.
Lancé en 2012 sur les cendres de Metro – groupe d’importance qui a marqué la scène du Luxembourg au début du siècle – Ice in My Eyes poursuit son avancée tranquille, dans un style en clair-obscur : de la pop dansante mariée au désenchantement de la new wave. Après deux premiers albums, le quatuor – Olivier Treinen (chant), Ben Thommes (guitare), Luc Hoffmann (batterie), Mike Koster (basse) – est devenu quintette, avec l’arrivée de Marc Clément (synthétiseur). Mieux, après deux années dans les cartons, leur troisième disque voit le jour, présenté ce vendredi soir sur la scène de la Kulturfabrik. Entretien.
Votre nouvel album, New Romantic, est depuis deux ans dans les cartons, n’ayant pu sortir en raison de la pandémie. Comment vit-on cette attente ?
Olivier Treinen : C’est bizarre. Par le passé, j’ai déjà pris du temps pour sortir un album, attendre le moment propice pour le dévoiler. Mais là, c’est nouveau ! Quelques jours avant la pandémie, on était d’ailleurs affairé à sa sortie, et là, boum, virus et tout qui se ferme ! Du coup, on a eu le temps, depuis tout ce temps, de travailler sur d’autres chansons. Vendredi (NDLR : aujourd’hui), à la Kulturfabrik, on va jouer cet album, mais aussi le suivant!
Dans de telles conditions, est-on tenté de remanier l’album, le retoucher, ou au contraire, de l’oublier ?
On a surtout envie de le sortir ! C’est comme, en quelque sorte, être enceinte : on veut arriver au bout du processus pour passer à autre chose, aller à l’étape suivante.
N’avez-vous pas été tenté de le sortir uniquement en numérique, comme beaucoup l’ont fait durant le confinement ?
Non, ça n’a jamais été une solution envisagée. On est sûrement trop vieux pour cela, et pas assez moderne (il rigole). C’est qu’on aime avoir le retour d’un vrai public, discuter avec eux, leur donner en main propre nos petites productions… On ne se refait pas !
Ce nouveau disque s’appelle New Romantic. Faut-il y voir une référence à la Nouvelle Vague britannique des années 80 ?
Tout à fait. Tout est une question de racines musicales. Déjà le nom du groupe, Ice in My Eyes, vient de l’album Pornography de The Cure, sorti en 1982 (NDLR : la chanson Cold). Et ce terme, « new romantic« , a été inventé, je crois, par un critique de chez New Musical Express pour évoquer un sous-genre de la new wave anglaise. Il s’avère que quand je suis rentré en studio, j’avais un petit côté romantique. D’où ce nom.
Durant la création du disque, mon livre de chevet était Sérotonine de Houellebecq. Vous imaginez l’ambiance…
Du coup, comme ces anciens groupes britanniques, allez-vous poser en haut de falaises avec la mine triste et des écharpes volant au vent ?
(Il rigole) Ce serait dangereux ! Surtout parce qu’on est du genre à ne pas être très sérieux, à s’emmêler les pieds dans les écharpes et tomber alors de la falaise ! Non, on préfère se cacher derrière l’artwork (NDLR : signé Gilles Pegel), comme le faisaient déjà à l’époque les groupes de Manchester.
Ce sont des illustrations plutôt sombres, post-apocalyptiques. Cela correspond-il à votre état d’esprit ?
État d’esprit, je ne sais, mais elles collent plutôt bien aux textes, qui ne sont pas d’une gaité folle! Oui, la vie n’est pas tous les jours facile (il rigole). Mais il y a une autre raison à cette humeur : durant la création du disque, mon livre de chevet était Sérotonine de Michel Houellebecq. Vous imaginez l’ambiance…
Justement, si votre musique, pop et dansante, invite au lâcher prise, il y a toujours en arrière-plan des sonorités plus froides, mélancoliques. Pourquoi ?
On fait toujours la musique qu’on a écoutée à 20 ans! Moi, dans les années 80, je n’ai jamais accroché au hard rock, mais plutôt à la new wave. Attention, ça pouvait sonner pop, très pop même, mais dans le ton et les textes, ce n’était pas la franche rigolade! On peut alors danser en se questionnant sur l’état du monde… et pleurer.
Cette orientation, c’est donc une question d’âge ?
Oui, c’est une évidence. Et à cela s’ajoute une raison cyclique. Quand on dit que le rock est mort, ça sous-entend de multiples résurrections. Le post-punk, la new wave… tout cela se recycle, encore et encore. Ça ne disparaît jamais vraiment, ça se réinvente en permanence.
Ce groupe, c’est très important que ce ne soit pas moi et les autres. Ce n’est pas du tout l’idée !
Malgré ces références et enracinements, comment a évolué Ice in my Eyes depuis 2012 ?
La grosse différence, c’est qu’au début, lors des premiers concerts, je proposais uniquement mes chansons, écrites à la va-vite durant quelques semaines. Mais depuis plusieurs années, on est un vrai groupe, une famille soudée qui privilégie la collaboration, notamment dans les compositions. D’autres instruments se sont aussi ajoutés à notre musique, et même un cinquième membre (Marc Clement), qui va me permettre de seulement écrire des textes, et de les chanter. Bien sûr, je vais encore un peu m’occuper de mélodies, de faire ici et là un refrain, mais ça n’est plus du tout la même dynamique. Le quatrième album devait s’en ressentir, et être quelque chose de nouveau.
Ce partage, est-ce un bon moyen de se débarrasser pour de bon des remarques qui parlent d’Ice in My Eyes comme le projet du mec de Metro ?
Metro a existé pendant huit ans, ce qui, aujourd’hui, est déjà moins que Ice in My Eyes… Et je n’ai aucune envie de me débarrasser de mon passé, car c’était chouette! Disons que je suis content d’avoir un groupe autour de moi, des amis, réunis ensemble pour un projet commun… Ce groupe, c’est très important que ce ne soit pas moi et les autres. Ce n’est pas du tout l’idée !
Dans ce nouvel album, il y a cette dernière chanson, sortie avant les autres (Heart + Soul) qui part dans tous les sens, et s’affranchit du format pop pour courir sur près de sept minutes. Est-ce le nouveau visage d’Ice in My Eyes ?
(Il réfléchit) Ça n’a rien d’évident de répondre quand on a la tête dedans. Disons que oui, ce sera différent, ne serait-ce par cette envie d’exploser le format couplet-refrain, qui était l’ADN de la plupart de mes chansons. Après, ce ne sera pas une révolution, mais comme on dit dans le milieu, une évolution dans la continuité (il rigole). Regardez New Romantic : il y a plein de choses dedans! Des envolées rock, de la techno-pop, et même des chansons qui pourraient s’inscrire dans la lignée de Metro. On va dire que pour cet album, comme le suivant, on ne s’interdit rien.
Êtes-vous heureux de le présenter enfin au public ?
Je me souviens du seul concert de 2020, donné à la Kulturfabrik, avec des gens assis et angoissés devant nous. C’était, disons, spécial… Mais cette année, on a joué à la fête de la Musique organisée au Kirchberg par le Gudde Wëllen, et là, c’était magnifique! On voyait des gens soudainement libérés, qui ne croyaient pas qu’ils pouvaient danser, s’amuser comme avant… Ça m’a finalement conforté dans l’idée d’avoir été patient durant une année et demie, et de sortir cet album au bon moment. Et puis, ça va être un long set, avec plein de nouveautés. Le public va être gâté : il aura le droit à toute la panoplie d’Ice in My Eyes !
Entretien avec Grégory Cimatti
Ce vendredi soir à partir de 20 h. Kulturfabrik – Esch-sur-Alzette.
Support : Bartleby Delicate et DJ Mike Tock.