Retrouvez la critique de l’album de la semaine.
Tout cela aurait dû rester anonyme, cantonné au cercle d’amis qui fréquentaient le même bar à Rennes : le Terminus. Une plaisanterie tout au plus, lancée par deux habitués qui picolent sévère : Pierre Barrett et Mickaël Olivette. Une nuit trop longue, ils rentrent tard, se passent le micro pour rigoler et immortaliser ce qu’ils entendent à flanc de comptoir. Juste comme ça.
En résultent neuf morceaux, balancés sans réelle attente sur Bandcamp, réunis sous le titre Après c’est gobelet!. Puis arrivent la crise sanitaire, le confinement, le marasme, la liberté sacrifiée, les apéros virtuels… Et voilà que ce premier disque de Gwendoline connaît une seconde naissance, grâce à ses textes désabusés et sa musique froide qui collent bien à l’humeur de l’époque et l’avenir en pointillé. Chevalier Ricard et Audi RTT deviennent alors des hymnes que l’on chante comme au stade, pour crier ce que l’on a sur le cœur. Car la colère est juste.
Deux ans plus tard, les intentions n’ont pas changé. Certes, elles s’enracinent aujourd’hui à Brest et sont véhiculées par un label qui sait y faire pour dorloter les sons à la marge : Born Bad Records. Pourtant, ce dernier confirme : «La musique de Gwendoline n’en a rien à foutre. Elle n’a pas de projet. Elle ne tente rien. Ils le répètent à qui veut l’entendre : il faut juste écouter», peut-on lire sur son site.
Et observer aussi, notamment cette pochette où le tandem pose la tête cachée dans la main. Comme pour masquer ses rires ou ses larmes. C’est l’idée. De toute façon, Pierre Barrett (celui qui a une moustache) et Mickaël Olivette (celui qui n’en a pas) rejettent la lumière, au point de définir leur style comme de la «shlagwave» (soit à la ramasse, perdu, inadapté). Sans oublier que leurs mœurs ne se situent pas en haut de la pyramide, mais tout en bas, au socle, à ras du trottoir, parmi celles de la génération désenchantée dont ils font partie et pour qui «la fin du monde a commencé quand ils sont nés».
Ce monde est génial!
Forcément, leur musique ne pouvait que se caler à l’atmosphère, entre désespoir et désœuvrement. Elle trouve pourtant son modèle au début des années 1980 où, paradoxalement, tout allait bien (ou mieux) en France, avec ses fortes valeurs sociales et sa croissance vigoureuse. Une décennie où le synthétiseur était roi, la guitare vaporeuse et la boîte à rythmes un compagnon de jeu idéal. Gwendoline n’invente rien et se cale sur cette new wave de convention, toujours prisée aujourd’hui, minimaliste à souhait, un peu pop et ici, glaciale comme un vent venu de l’ouest. Par contre, avec ce duo, les textes prennent du mordant et beaucoup de lucidité.
Pour l’inspiration, il n’y a qu’à allumer la télévision ou tendre l’oreille lors de soirées alcoolisées au PMU du coin, comme l’a déjà fait Jean-Marie Gourio (l’auteur de Brèves de comptoir). Mais aux aphorismes, le groupe préfère la phrase qui claque, surtout quand elle dérange. «Union soviétique / Modèle idéal / La Corée du Nord / Bon système social», lancent-ils ainsi en ouverture dans Conspire. Ça donne le ton.
La suite est du même acabit, à travers dix titres ramassés, plus ou moins sombres, plus ou moins cadencés, qui laissent en bouche l’amertume d’une bière plate. En mode «spoken word», chacun à son tour, le duo de Gwendoline balance sa poésie punk sans prendre de pincettes : elle parle de classe moyenne, de vacances au camping, de sites de rencontres, des oubliés de la «start-up nation», des héritiers sans scrupules («J’ai pas choisi mon camp / C’est le sang de papa et maman»), des boulots abrutissants, des comptes Vinted, de la malbouffe, des émissions trash de TMC… Pierre Barrett et Mickaël Olivette font corps pour cracher leur dégoût, dans un sens de la formule qui s’orne à l’envi de cynisme, d’autodérision, de scepticisme, d’ironie, de sarcasmes et de je-m’en-foutisme. De quoi douter de leur sincérité quand ils clament que «ce monde est génial!», mais pas de leur motivation : lever son verre, boire, fumer, danser, rire, aimer, et faire que la soirée ne s’arrête jamais vraiment. C’est à ce prix que se supportent les malheurs. C’est à ce prix, aussi, que l’on se sent vivant.