Jusque-là secondé d’un batteur, c’est en solo que David André, alias Gregario, a sorti son premier long format à la fin de l’été. Une situation dont le musicien s’accommode, lui qui, pourtant, a toujours joué en équipe.
Au fil de la conversation, il avoue avoir «plusieurs identités». Une schizophrénie musicale qui, chez David André, s’observe sur deux fronts. Il y a celui connu du grand public, quand il accompagnait de sa basse, à la guitare ou aux claviers, certains groupes du Luxembourg dont le rock a laissé durablement une trace dans le paysage national. Il y a eu notamment Balboa, Miaow Miaow, Metro, Mount Stealth, et tout dernièrement, Odds Ratio, nouvelle formation «de vétérans» à travers laquelle il retrouve son rang, au frais à l’ombre : celui de fidèle lieutenant, d’équipier modèle. Un statut qui tient du sacerdoce puisqu’il va s’en inspirer pour trouver le nom de son projet solo. Gregario, dans le milieu cycliste en Italie, signifie en effet celui qui remonte le peloton pour apporter de l’eau à son leader.
C’est sous cette appellation qu’il a, en toute discrétion, conforme à sa nature, sorti deux EP, fruits d’un élégant coup de pédale : Whistleblowers (2020) et Nomads on Hold (2021). Deux objets instrumentaux portés par un piano au premier plan, à la fois atmosphériques et impressionnistes, «laissant le soin à l’auditeur faire son propre film dans sa tête», disait-il à l’époque. Comme on ne se refait pas, David André, pas rassuré d’être aussi exposé, a pu compter sur l’appui d’un batteur, Paul Fox, puis d’un second, Jorsch Kass, afin d’arriver à ses fins et cette musique qui, loin de ses habituelles escapades collectives, s’apparente à un trip-hop mâtiné de jazz. Un soutien qui fait particulièrement sens sur scène, où Gregario s’est montré une petite dizaine de fois. «Ça apporte du dynamisme, sans atténuer l’approche minimaliste», explique-t-il.
Taïpan, producteur subtil et percussif
On a pu ainsi le(s) voir en première partie de Mutiny on the Bounty, lors d’un «chouette» concert dans une église aux Aralunaires, ou encore au CinEast, épaulant la projection de deux courts métrages tchèques des années 1960. «Ça collait super bien», se souvient-il dans un enthousiasme qui masque «une préparation exigeante» et un stress à dompter. Et pour cause : «Je ne suis pas un vrai pianiste! En jouer me demande un degré de concentration très élevé», se marre-t-il avec du recul. Malgré tout, les échos sont bons, dont il en retire une «gratification» d’autant plus «valorisante». Jusqu’au moment où, l’un après l’autre, pour des raisons personnelles, les batteurs le laissent en plan. Il n’a alors plus beaucoup de choix : soit recommencer à zéro, au risque de se perdre dans «une voie sans issue». Soit «lâcher les chevaux».
C’est ce qu’il va faire avec, toujours en coulisses, l’importance des rencontres. Ici une, cruciale, qui va lui donner la «motivation» nécessaire et des conseils pour emballer des pistes aux accents électroniques qui traînaient jusque-là dans son ordinateur : Vincent Habay, alias Taïpan, un producteur dont l’excellente réputation reste cantonnée au milieu du rap. À tort, selon lui : «Il a une culture musicale qui dépasse largement le cadre du hip-hop». Sous ses mains, au mixage, ses compositions gonflent le torse, «plus percussives», tout en gardant une «subtilité au niveau des orchestrations». Au bout, une renaissance, un mini-disque de deux titres (Godwin Point in 4) et des idées à la pelle pour concevoir ce qui va être son premier long format, Assembly Unit, sorti dans l’anonymat fin août.
Boucles entêtantes et ambiance plantante
Neuf chansons qui, si elles restent toujours muettes, «explosent les contraintes» qu’il s’était fixées lors du lancement de cette aventure en solitaire, il y a sept ans. La batterie, le piano et les quelques samples associés sont ainsi «plus construits et mieux arrangés». Il prolonge : «Il y a plus de couches, plus d’humeurs différentes, même s’il y a encore de la place à l’introspection». Entre boucles entêtantes et ambiance cinématographique, entre post-rock et trip-hop planants, David André avoue s’être amusé à «fignoler» sa musique, ayant accumulé suffisamment d’expériences pour savoir «s’arrêter au bon moment». «J’ai beaucoup écouté les autres, précise-t-il, ce qui m’a permis de m’améliorer, notamment pour ce qui est du beatmaking et des arrangements». Et même si l’homme, jeune quinquagénaire, père de famille et professeur, est toujours pressé, il reconnaît que cette période d’activité est passée «comme un charme».
Mais aujourd’hui, alors qu’il dit ne plus chercher de batteur, reste la question de l’après. «J’ai quelques maquettes sous le coude, mais rien d’abouti», lâche Gregario qui, idéalement, aimerait faire «un pas en avant» de plus. Mais pour aller où? Vers le cinéma? «Il faut trouver les bonnes personnes.» Vers un show avec un écran géant en arrière-plan sur scène? «Trop chronophage en termes de préparation.» En ouvrant son univers à d’autres? «J’avais dans l’idée d’ajouter du chant, mais la personne à laquelle j’avais pensé n’était pas disponible.» Ou encore faire comme Bonobo, à savoir créer un groupe pour soutenir en concert son projet? «Ça, c’est le moins réaliste, mais rien n’empêche de rêver!», conclut-il dans un grand rire. En attendant, il reste Odds Ratio, sûrement heureux de pouvoir compter sur un partenaire aussi loyal et dévoué.
Assembly Unit, de Gregario.