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[Musique] Festival Face B : «On a toujours été des dingues !»


Julien Sauvage se dit particulièrement fier du festival Face B, avec un argument de taille : l’usine, que le directeur promet de rendre «magnifique». (Photo : Fabien Legay)

Depuis sa création en 2005, Julien Sauvage s’est dédié à faire grandir le Cabaret Vert. Mais après deux annulations pour cause de pandémie, le festival revient sous une forme autrement ambitieuse et à contre-courant : Face B.

À la mi-août, les signes de la reprise commencent à se manifester. Le plus gros des vacances, et donc de l’été, est déjà derrière. Pas pour l’équipe du Cabaret Vert. Basé à Charleville-Mézières, l’un des derniers festivals d’été et grosse machine ardennaise qui a fait venir rien que ces dernières années la superstar du rap Travis Scott, la marraine du punk Patti Smith ou les princes tricolores de l’electro Justice, s’est plié aux mêmes règles que tout le monde : avec la pandémie est venu le silence. Mais à partir de demain, et pour six semaines, l’équipe propose un projet alternatif : Face B, un festival pluridisciplinaire qui prendra ses quartiers jusqu’au 26 septembre à la Macérienne, friche industrielle emblématique du paysage de la ville. De la musique, forcément, mais aussi de la bande dessinée, du théâtre de marionnettes, de l’écologie, des expositions… Le cœur culturel et le cœur historique de la ville battent ensemble, dans une perspective précise : devenir un acteur incontournable du grand projet de réhabilitation du lieu. L’homme derrière le Cabaret Vert et Face B, Julien Sauvage, explique les enjeux d’un festival éphémère qui n’a pas peur de se mouiller.

Alors qu’en France, les festivals de musique ont choisi d’annuler leur édition pour la deuxième année d’affilée ou de revenir en version réduite, vous remplacez le Cabaret Vert par un autre projet d’envergure. On peut même parler d’un festival XXL…

Julien Sauvage : Dans le contexte, on est sur un format XXL. En termes de jauge, on est plus près d’une taille S… Le Cabaret Vert fait venir en moyenne 26 000 personnes par jour. Dans ce nouveau lieu, on est limité à 2 500, et pour le week-end musique, on espère faire venir 5 000 personnes. Mais on est tellement plein d’enthousiasme au sortir de cette année blanche! De fait, on a prévu plein de trucs, mais je crois qu’on en a prévu beaucoup trop (il rit). C’est l’une des raisons qui ont fait que cette dernière semaine était la plus stressante. D’habitude, on a un an pour élaborer une amélioration de la précédente édition; là, on a eu quatre mois pour préparer quelque chose de totalement inconnu pour nous…

Face B, c’est une sorte de test grandeur nature pour voir ce que l’on pourra faire ensuite sur la friche

Comment a germé l’idée d’un tel projet?

Nos bureaux sont implantés depuis plusieurs années dans l’usine. Celle-ci date de 1896, est complètement désaffectée depuis 1984 et est aujourd’hui classée aux Bâtiments de France. Étant située en plein centre-ville, c’est une friche prioritaire en termes de réhabilitation : il y a du plomb, de l’amiante, des hydrocarbures… La communauté d’agglomération de Charleville-Mézières, Ardenne Métropole, qui en est propriétaire, est en train d’investir 30 millions d’euros pour cette usine, il y a donc un véritable enjeu pour nous. Face B, c’est une sorte de test grandeur nature pour voir ce que l’on pourra y faire ensuite. Le degré de réussite de ce que l’on va faire cet été aura une influence sur la taille de notre place dans ce projet à l’avenir.

Dans le futur, il est question de transformer la Macérienne en espace écocitoyen, ce qui colle aussi à l’image du Cabaret Vert…

C’est un peu plus large que ça. La Macérienne va devenir ce qu’on appelle aujourd’hui – je déteste cette expression – un « tiers lieu », soit un lieu de vie avec des bars, des restaurants, des salles d’exposition, des bureaux… Le Cabaret Vert étant tout autour de cette friche, une partie du site du festival est située à la place d’anciens bâtiments, démolis dans les années 1960-1970 et laissés sur place, donc complètement pollués. Cela nous permet de modifier l’aménagement du site pour une bonne partie, et donc de ne pas avoir deux projets côte à côte, mais d’avoir une seule vision d’ensemble, car la friche, elle, continuera à vivre en dehors de la période du festival. D’un simple tiers lieu utile à l’amélioration du cadre de vie des habitants, on pourrait ainsi devenir une sorte de parc urbain qui toucherait les gens à 200 km à la ronde. Si on y arrive, car cela demanderait des fonds supplémentaires, et on risque toujours de se heurter à la réalité financière de la chose.

La réhabilitation de la friche va donc changer définitivement le visage du Cabaret Vert?

Je dirais même plus : quand vous réhabilitez 10 000 m² en plein cœur de ville pour en faire un immense lieu de vie, ça va changer le visage de la ville et de ses habitants. Quant au festival, je vois au minimum deux points positifs. D’abord, le budget du Cabaret Vert est de 6 500 000 euros sur une année normale. Ce sont des moyens importants, mais quand on entreprend des travaux lourds, c’est finalement assez ridicule. Si la ville prend en charge les aménagements paysagers et autres travaux extérieurs, ça va améliorer esthétiquement le site de manière considérable. C’est très important pour nous : exception faite du Hellfest, on est, parmi les gros festivals de musique en France, celui qui fait le plus d’efforts en termes de décoration et de scénographie. La deuxième chose, c’est que l’agglomération profite des travaux pour améliorer nos moyens techniques, ce qui nous permettra de travailler dans de meilleures conditions.

Était-il essentiel que Face B sorte de la musique pour proposer un festival pluridisciplinaire?

Il y a trois raisons à cela. Depuis deux ans, on travaille beaucoup dans l’optique de transformer ce lieu : la première raison, c’était de faire primer la cohérence entre ce projet et le Cabaret Vert. La deuxième, c’était de pouvoir intégrer des structures locales, des copains qui, dans le contexte sanitaire, ont jeté l’éponge pour plein de raisons : financières, techniques, sanitaires… Ainsi, on a intégré une cinquantaine d’opérateurs à nos côtés, qui prennent en charge des événements. Enfin, le Cabaret Vert, ce n’est pas que de la musique : on est l’un des plus gros festivals de BD de France, on a deux salles de cinéma, un grand espace dédié aux arts de la rue… On voulait quand même faire un clin d’œil à tout ça.

J’ajouterais même une quatrième raison : alors que Cannes a le cinéma et Avignon le théâtre, Charleville revendique d’être la capitale mondiale de la marionnette, avec un festival énorme, qui investit une cinquantaine de lieux. Les besoins de ce festival étant complètement opposés aux nôtres – en termes d’espace, de longueur, de capacité d’accueil… –, nous n’avons jamais pu nous rencontrer. Avec Face B, nous sommes heureux de pouvoir enfin collaborer pour la première fois.

Du stress et de la crainte de voir s’ouvrir un événement nouveau, vous tirez quand même un peu de fierté?

D’habitude, notre objectif, c’est 100 000 personnes. Là, c’est entre 20 000 et 25 000 : l’attrait n’est pas du tout le même. Le temps joue contre nous, on pourrait s’améliorer, faire plus. Il y a toute une somme de détails qui font que c’est bien compliqué. Mais l’usine va être magnifique. J’ai toujours été fier de ce qu’on a fait, mais je suis particulièrement fier du Cabaret Vert depuis 2018-2019, en termes de scénographie, d’aménagement, de qualité d’accueil… Dans ce cas aussi, on y est allé une étape après l’autre : au début, on a essayé d’organiser un festival, puis de bien l’organiser, puis à un moment on s’est dit qu’on pouvait faire en sorte qu’il ait de la gueule. Le niveau d’exigence qu’on a sur le lieu est au minimum au niveau du Cabaret Vert 2019. Je pense que les gens vont prendre une énorme baffe.

On sent chez vous un optimisme, une envie d’être « over the top » qui a déserté le monde de la culture depuis la pandémie. Ce positionnement à contre-courant, vous le revendiquez?

(Il réfléchit) À la base, nous ne sommes pas un acteur culturel. La culture est un outil. Notre but, à l’origine, était de faire venir les gens dans les Ardennes, qui est un endroit où il y a des projets ambitieux. De fait, faire pour faire, ce n’est pas du tout dans notre état d’esprit. On est à contre-courant et, je le pense peut-être de manière un peu prétentieuse, on est l’événement le plus excitant de cet été en France. Mais on a toujours été des dingues : on a commencé avec 400 euros, je travaillais dans la grande distribution, mon directeur technique était boulanger… La facilité, ce n’est pas dans nos habitudes. On ne voulait pas faire les choses par dépit. C’est dans ces moments de doute qu’il faut se réinventer. On veut montrer que c’est possible, que le monde n’a pas arrêté de tourner.

Face B,
Jusqu’au 26 septembre.
La Macérienne – Charleville-Mézières.
www.lamacerienne.com

Valentin Maniglia