Sacré groupe de l’année aux Brit Awards 2025, le quintette londonien Ezra Collective fait danser un public nouveau avec son jazz mêlé d’afrobeat et son énergie contagieuse, répétant haut et fort son mantra : cette musique est «pour tout le monde».
En moins de deux ans, Ezra Collective est devenu la première formation de jazz britannique à remporter le prestigieux Mercury Prize et à atteindre le top 10 au Royaume-Uni avec son album Dance, No One’s Watching (2024). À la fin du mois, le quintette jouera au festival de Glastonbury pour la troisième fois, après un premier passage en 2019 et un concert remarqué en 2023.
«Quand j’étais jeune, je n’avais pas les moyens d’aller dans la plupart des clubs de jazz, et certainement pas de me payer un verre là-bas», reconnaît le batteur Femi Koleoso dans son studio du nord de Londres, quartier où il a grandi. «Le jazz me semblait être une forme d’art supérieure (…) C’est pour ça qu’on a voulu faire sentir aux gens que c’était pour tout le monde, et éliminer tout élitisme», défend le musicien anglo-nigérian de 30 ans.
Ezra Collective, dont le nom s’inspire d’un prophète biblique, a vu le jour il y a une dizaine d’années quand Femi Koleoso et son frère cadet TJ Koleoso, bassiste, ont commencé à jouer dans des clubs de jazz pour adolescents, où ils ont rencontré le claviériste Joe Armon-Jones et le saxophoniste James Mollison. «Nous avons appris le jazz, mais nous étions d’abord tombés amoureux de l’afrobeat, et c’est leur fusion qui a donné notre musique», raconte-t-il. Partisan Records, chez qui ils sont signés, a réédité tout le catalogue de l’inventeur du genre, Fela Kuti – par ailleurs, le label indépendant compte dans ses rangs des artistes comme PJ Harvey, Idles, Laura Marling et The Black Angels, et a sorti les trois premiers albums des Irlandais de Fontaines D.C.
Au gré des rencontres et des tournées du groupe, rejoint par le trompettiste Ife Ogunjobi, cette fusion s’est mêlée «au hip-hop, au dub, au reggae, plus récemment à la salsa» ou à la musique highlife du Ghana, même si «le jazz reste la base de tout». Dansant et inventif, ce mélange a séduit bien au-delà des amateurs du genre, aidé par l’énergie folle des concerts d’«EZ» où le charismatique Femi Koleoso, tel un prêcheur, exhorte la salle à devenir un «temple de joie».
Âge d’or du jazz britannique
Devenu l’un des groupes phares d’une scène jazz florissante, portée par une nouvelle génération de musiciens, le quintette a créé la surprise en remportant le prestigieux Mercury Prize pour son deuxième album, Where I’m Meant to Be (2023), devenant ainsi la première formation jazz à être sacrée par cette récompense créée en 1992. Cette victoire a permis d’enfin reconnaître l’existence d’un «âge d’or du jazz britannique», selon Alexis Petridis, le critique musical du quotidien britannique The Guardian. La plupart des musiciens de cette nouvelle scène londonienne, aux origines et influences multiples, ont appris à jouer ensemble dans les clubs de jazz pour adolescents, qui ont fait de Londres «le meilleur endroit au monde où être né» pour de jeunes artistes, affirme TJ Koleoso.
Le programme «Tomorrow’s Warriors» en particulier, créé en 1991 pour promouvoir plus de diversité dans le jazz, a fait émerger de nombreux talents comme Nubya Garcia, Kokoroko ou Ezra Collective en organisant des jam sessions ou des ateliers gratuits. «Si nous vivons ce moment, c’est grâce aux formidables clubs pour les jeunes, aux professeurs et aux écoles», a lancé Femi Koleoso, grave et ému, sur la scène des Brit Awards, où le groupe a triomphé en mars dernier face aux géants Coldplay ou The Cure.
Diversité et authenticité
Chrétiens fervents, fans de Fela Kuti et du club de football d’Arsenal, les frères d’origine nigériane restent très attachés à leur quartier londonien d’Enfield, où ils ont grandi «à côté d’une famille bangladaise, avec un meilleur ami d’enfance turc (…) et entourés de Jamaïcains», énumère Femi Koleoso. «Londres a été une source d’inspiration profonde» et «ce melting-pot, cette diversité (…) a infusé dans tout ce que j’ai écrit et créé», affirme celui qui a aussi été batteur lors de tournées du groupe Gorillaz.
Sur scène, ceux qui se considèrent comme des «frères» entrent en communion, improvisent, et s’ils «jouent toujours la première partie d’une chanson avec précision (…) chacun prend ensuite sa liberté», se réjouit-il. De fait, «je ne pense pas qu’une IA pourrait imiter notre concert», poursuit TJ Koleoso, préférant relativiser au sujet de cette technologie qui inquiète les artistes, car ce sont toujours «les choses réelles, authentiques», qui survivent à de tels bouleversements.