Longtemps éclipsés par les rappeurs, ces «architectes du son» prennent enfin la lumière dans l’Hexagone. Une mise en avant qui permet de découvrir toute la difficulté de l’exercice.
Artisans indispensables du hip-hop, les beatmakers, compositeurs discrets à l’origine de nombreux tubes, de Booba à Aya Nakamura, sortent peu à peu de l’ombre en France. «Le frisson de la production, c’est de toujours essayer de découvrir ce son, cette texture un peu nouvelle, de toucher ce qui n’a pas été touché avant», confie BBP, l’un des plus prisés du rap français.
Actif depuis une dizaine d’années, il a imprimé sa patte sur l’album de PNL Deux frères (2019) et sur la majeure partie de l’infernal Pandémonium de Vald, sorti en mars. Ce passionné compare sa «quête» aux recherches d’un «peintre qui va expérimenter sur sa palette pour trouver des tons qui vont bien ensemble».
Ces compositeurs 2.0 œuvrent en coulisses, signant seulement leur toile sonore d’un tag, une signature vocale souvent glissée au début du titre. Peu médiatisés et valorisés jusqu’alors, ils sont désormais récompensés aux Flammes, cérémonie dédiée au rap et à ses courants. Sacré compositeur de l’année en mai, le duo Maxalaguitare & Senyaupiano a notamment bâti Baby, l’un des cartons d’Aya Nakamura.
«Ce sont des architectes sonores. Ce sont eux qui donnent le « la » : beaucoup d’artistes ne peuvent écrire sans savoir sur quel type de production ils vont aller», souligne Mehdi Maïzi, journaliste rap et responsable du contenu hip-hop chez Apple Music France.
Des «rats de studio» dans l’ombre
Un numéro spécial de son émission, Le Code, diffusé sur cette plateforme et sur YouTube, a justement été consacré en juin aux beatmakers BBP, Pandrezz (Bécane de Yamê) et Richie Beats (Dinos, Alpha Wann). «C’est un coup de projecteur sur des métiers bien connus dans l’écosystème musical mais moins du grand public», explique la Sacem, organisme de gestion des droits d’auteur et partenaire de l’initiative, qui passe également par des playlists et six épisodes inédits du collectif Legendes Industries, jusqu’à samedi. «Beaucoup de beatmakers sont plutôt des rats de studio qui n’ont pas envie d’être dans la lumière», note encore Mehdi Maïzi.
La plupart d’entre eux cherchent à placer leurs productions auprès de différents artistes. Une poignée, tels qu’Ikaz, Meel B – rare signature féminine – ou Amine Farsi, sortent aussi leurs propres albums.
Aux États-Unis, les beatmakers sont depuis longtemps des stars à part entière, à l’image du vétéran Timbaland et de la relève Metro Boomin, qui a collaboré avec Future et 21 Savage, et bien d’autres, indispensables au «game» (The Alchemist, Dr. Dre, Madlib, J Dilla, DJ Premier…).
Ils sont appelés «producers», terme qui englobe la production sonore, voire la direction artistique du projet. La traduction en français est peu usitée car porteuse de confusion avec le producteur, qui finance l’enregistrement musical.
De «petites mains» disponibles à souhait
Moins de machines et plus de logiciels à des prix abordables : la démocratisation des outils de production explique en grande partie le fleurissement des beatmakers. En parallèle, le rap a évolué vers plus de compositions originales et moins de samples (boucles d’échantillons sonores), source potentielle de batailles de droits d’auteur comme pour Tonton du bled (1999) du 113.
Pourtant, cet avènement est à double tranchant. «Il y a une ubérisation des compositeurs, avec plein de petites mains disponibles», observe BBP, dénonçant certaines «conditions de travail et de rémunération», dans un secteur «ultra concurrentiel».
Or, «il faut du temps pour apporter une vraie plus-value aux artistes», juge-t-il. Aux yeux du compositeur belge Ozhora Miyagi (qui a signé Génération assassin de Booba), les beatmakers restent souvent «les exécutants». «Je connais énormément de beatmakers qui galèrent. Il y a une grosse précarité», déplore-t-il.
«Je peux comprendre qu’un petit de 15-16 ans fasse une production et qu’on lui propose 300 euros car, pour lui, c’est lourd. Mais, plus les compositeurs vont parler de ça, plus les petits vont se dire qu’ils ne veulent pas» de ce statut, espère ce poil à gratter du milieu. «C’est aussi à eux de cultiver leur image», encourage Niro, l’un des tauliers du rap francophone. Car, rappelle-t-il, «sans beatmakers, il n’y aurait rien du tout : on ferait du slam!».