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Musique : des septuagénaires qui se revisitent


Inépuisable, Bruce Springsteen sort son nouvel album de reprises soul moins d'une semaine après avoir donné une performance en hommage à Jerry Lee Lewis au Rock and Roll Hall of Fame.

Album de reprises soul lustrées pour Bruce Springsteen, disque ouvert à tous vents chez Neil Young : à plus de 100 ans de carrière à eux deux, ces monuments sont toujours productifs.

Le «Boss» a été le premier à dégainer, vendredi, avec un nouvel album, Only the Strong Survive. Peut-être un message adressé à la concurrence des vétérans du rock («seul le costaud survit») alors que la tournée mondiale de Bruce Springsteen est attendue pour 2023. Surprise, à l’image de ce morceau-titre de Jerry Butler initialement sorti en 1968, l’album propose des reprises soul tirées des usines à tubes du genre, de Motown à la Stax, entre autres.

Bruce Springsteen avait déjà lancé deux morceaux en éclaireur, Do I Love You (Indeed I Do) de Frank Wilson (1965) et Nightshift, standard des Commodores (1985). «Je voulais faire un album où je ne faisais que chanter», explique l’Américain, 73 ans, dans les notes d’intention de son 21e album studio. Son précédent opus, Letter to You, remontait à 2020. Comme à son habitude, il avait composé l’intégralité de l’album par ses soins avec l’aide de ses grognards du E Street Band, qui l’accompagnent en studio et sur scène depuis ses débuts, il y a 50 ans.

Springsteen, le passeur

«Il y a peut-être une petite panne d’inspiration pour Springsteen», expose Thomas Boujut, journaliste musical français qui fut d’abord fan du «Boss» avant de verser du côté de Neil Young. Il a même consacré au Canadien – qui possède aussi la citoyenneté américaine – un documentaire sorti cette année sur Arte, Neil Young, les raisons de la colère. Mais Thomas Boujut reconnaît une vertu pédagogique au dernier Springsteen. «Ces reprises, ça va permettre à plein de gens de découvrir les versions originales, tout un pan de la musique américaine.» «C’est le rôle d’un artiste, aussi, d’être un passeur, à l’image de Bob Dylan et de son dernier livre», poursuit-il.

 

Dans Philosophie de la chanson moderne, paru ce mois-ci, Bob Dylan, musicien mythique mais aussi prix Nobel de littérature, se penche sur les titres d’autres artistes, de Hank Williams à Nina Simone. «J’ai essayé de leur rendre justice à tous (aux interprètes) et aux fabuleux auteurs de cette musique glorieuse», glisse encore Springsteen dans son livret. «Sa voix est bien en place, il maîtrise son sujet, mais c’est peut-être un album un peu trop léché», note Thomas Boujut.

Neil Young, l’aventureux

Le «Boss», pour enregistrer Only the Strong Survive, est resté dans son fief du New Jersey et s’est reposé sur le producteur Ron Aniello, collaborateur depuis plusieurs années. Neil Young, lui, est sorti de sa zone de confort. L’homme aux surchemises à carreaux avait enregistré Barn à l’été 2021 dans une grange des Rocheuses du Colorado, pour une sortie en décembre de la même année. Cette fois, le «Loner», suivi par son fidèle groupe, Crazy Horse, s’est rendu à Malibu. Pour s’en remettre aux consoles de Rick Rubin. Ce producteur-gourou est connu pour ses collaborations avec les Red Hot Chili Peppers, mais aussi pour avoir sculpté le son des fameux albums crépusculaires de Johnny Cash. Cette dernière référence a sans doute séduit Young.

World Record, qui sortira vendredi, plus aventureux et moins formaté que l’album de Bruce Springsteen, n’est pas non plus exempt de défauts. Young désarçonne en ouvrant par des ballades structurées au piano, à l’image de Love Earth. Un des morceaux où transpirent ses préoccupations environnementales, tout comme This Old Planet. Les fans, eux, se retrouveront dans Chevrolet. Young a beau prêcher la fin des énergies fossiles, il est nostalgique des virées au volant dans les grands espaces. Cette chanson de plus de 15 minutes le voit malaxer l’électricité sortie de sa guitare.

À bientôt 77 ans, c’est son côté «productif» qui sidère, comme le dit Thomas Boujut. «Avec lui, c’est sans fin : entre ses rééditions (NDLR : une nouvelle édition de son chef-d’œuvre, Harvest, est prévue début décembre pour célébrer ses 50 ans), les inédits qui traînaient dans ses archives aujourd’hui exhumés, les nouveaux albums avec le Crazy Horse qui s’enchaînent, les maisons de disques s’arrachent les cheveux.» Ce qui ne doit pas déplaire au «Loner», artiste indocile.

Only the Strong Survive, de Bruce Springsteen. World Record, de Neil Young. Sortie vendredi.