Mondialement célèbre depuis sa reprise de Bohemian Rhapsody, le pianiste aux millions de vues fonctionne comme un influenceur avec ses superproductions dans l’espace public, rendant le classique plus accessible. Rencontre.
Fini les vidéos au portable dans une gare ou un café : avec le carton de son Bohemian Rhapsody et ses 600 millions de vues, le pianiste classique Julien Cohen s’est converti aux superproductions en vogue sur YouTube, où l’improvisation n’a plus sa place.
Tournée cet été façon happening sur une place parisienne, sa reprise du tube planétaire de Queen a mobilisé des dizaines d’artistes et techniciens dans une mise en scène calibrée pour les réseaux : des chanteurs faisant irruption aux fenêtres ou sur une calèche, un jeune prodige qui exécute le solo du guitariste Brian May… Le tout sous l’œil ébahi de passants filmés en gros plan.
Diplômé du conservatoire de Paris, Julien Cohen, 32 ans, a puisé dans ses économies pour financer les 50 000 euros de budget de ce «flashmob» (pour «mobilisation éclair») et sa captation vidéo. Pari réussi : plus de 20 millions de vues sur YouTube depuis septembre, plusieurs centaines de millions d’autres sur TikTok et Instagram.
«Je ne m’attendais pas à un tel succès mais, forcément, si je l’ai fait et que j’ai autant investi dedans, c’est quand même que j’y croyais!», dit ce pianiste déjà habitué à engranger les «like» par millions avec des formats courts où il semblait improviser avec une chanteuse d’opéra dans un restaurant ou une violoniste dans une gare.
Changement d’échelle
Début novembre, Julien Cohen a encore enclenché la vitesse supérieure. Pour son nouveau «flashmob», coproduit avec le duo Violin Phonix de son frère Chris, il a réuni 100 musiciens, 150 techniciens, 50 caméras, piétonnisé une artère partant de la place de la Concorde à Paris pour capter cinq morceaux avec batucada, instruments à cordes, chœur d’enfants et garde républicaine. Budget : quelque 300 000 euros, qu’il a fallu cette fois aller chercher auprès de partenaires. «Il y a peut-être une course au gigantisme, mais ça me plaît vraiment de faire des choses ambitieuses», affirme Julien Cohen.
«Ce n’est pas juste pour le public, c’est un vrai plaisir personnel», ajoute ce diplômé de mathématiques à Cambridge «très inspiré» par MrBeast, youtubeur le plus suivi au monde avec ses superproductions qui dépassent régulièrement le demi-milliard de vues.
En France aussi, les youtubeurs stars ont changé d’échelle avec des vidéos YouTube au budget XXL : 700 000 à 800 000 euros pour la production Stop the Train de Squeezie, et plus d’un million pour le Terminal de Michou.
Rien de tel jusqu’à présent dans l’univers du classique même si le violoncelliste star Gautier Capuçon a posté sur YouTube des vidéos ultra-produites où il joue suspendu dans le vide dans le massif du Mont-Blanc ou au sommet de la tour Eiffel.
«Qualité» et «simplicité»
Avec cette débauche de moyens et la promesse de revenus – YouTube reverse 55 % des recettes publicitaires aux créateurs –, plus rien n’est laissé au hasard. Pendant la captation de la dernière «flashmob» de Julien Cohen, chaque mouvement semblait millimétré, certaines parties musicales avaient été préenregistrées et trois tournages se sont enchaînés pour arriver au meilleur montage possible.
La recette fonctionne : quelques heures après sa mise en ligne, en début de semaine dernière, un premier extrait de cette nouvelle vidéo a rapidement été visionné 9 millions de fois. «Il faut que ce soit de qualité», explique Julien Cohen, qui tient plus que tout à ce que la vidéo finale attire le regard sans qu’on pense au «travail énorme» nécessaire à sa réalisation.
Le musicien y voit une analogie avec son passé de concertiste classique. «Quand je vais jouer dans un concert classique, les spectateurs vont sentir ça de manière très organique, il y a une simplicité dans le résultat. Mais cette simplicité, elle se travaille», explique-t-il. «Je bosse pour que les notes coulent de source et que l’auditeur n’entende jamais les milliers d’heures de travail qui ont rendu ça possible.»
Malgré le stress de la production et des délais de montage ultra-serrés, Julien Cohen poursuit ainsi, dans ses vidéos, le «même objectif» que dans un récital : «Travailler comme un fou» et «procurer des émotions fortes».