Coldplay, Ed Sheeran, Dua Lipa, Bryan Adams… Les stars n’hésitent plus à faire un tour par l’Inde, attirées par un public jeune, ouvert sur le monde et aux moyens financiers. Même si les infrastructures, elles, ne suivent pas forcément. Analyse.
Source d’inspiration de grands noms de la pop ou du rock comme les Beatles ou Led Zeppelin, l’Inde s’impose aussi désormais comme une étape obligée des tournées des stars mondiales de la musique, malgré un manque d’infrastructures de qualité. Ainsi, ces derniers mois, Coldplay ou Ed Sheeran ont arrêté leur caravane dans le pays le plus peuplé du monde le temps d’un ou plusieurs concerts. Jusqu’à ces dernières années, le faible revenu moyen des Indiens et la suprématie absolue des vedettes musicales locales avaient dissuadé les artistes anglo-saxons de s’y produire.
Mais la croissance soutenue d’une classe moyenne jeune et perméable, via les réseaux sociaux, à la culture mondialisée a clairement changé la donne. Le revenu annuel moyen par habitant ne dépasse pas 2 500 dollars (2 400 euros) en Inde, mais, selon la banque Goldman Sachs, le nombre de ceux qui gagnent plus de 10 000 dollars (9 600 euros) a bondi de 24 à 60 millions de 2015 à 2024. De quoi remplir largement des salles de concert avec des billets affichés à des prix entre 2 500 et 10 000 roupies (entre 30 et 110 euros) en moyenne.
«Tendance lourde»
En décembre dernier, les prestations de Dua Lipa, Maroon 5 ou encore de Bryan Adams ont ainsi affiché complet. Plus tard cette année, Green Day et Shawn Mendes espèrent bien faire de même. «Il y a dix ans, l’Inde n’existait pas pour eux!», commente Deepak Choudhary, fondateur de l’organisateur d’événements EVA Live. «Dorénavant, le pays abrite un public qui a faim. Si vous lui donnez de la qualité, il achète», poursuit ce dernier, qui voit déjà le marché indien de la musique live rattraper ceux de l’Allemagne, du Royaume-Uni ou du Japon d’ici trois à cinq ans.
En 2024, le nombre de concerts a progressé de 18 % en Inde, selon la plateforme de vente en ligne BookMyShow, qui décrit une «tendance lourde». En janvier, le groupe britannique Coldplay a rempli les 130 000 sièges du stade de cricket géant d’Ahmedabad (ouest) pour ce qu’il a présenté comme son «plus grand concert». «Dès qu’ils ont annoncé la date, j’ai réservé mon billet d’avion et mon séjour parce que je voulais être la première», raconte Monica Sawant, 36 ans, qui a traversé l’Inde depuis Bangalore (sud-est) pour assister à leur prestation à Mumbai.
«Un potentiel énorme»
Même le Premier ministre ultranationaliste hindou Narendra Modi s’est enflammé pour ce «boom» du marché de la musique live. «L’Inde a un potentiel énorme», a-t-il souligné. Mais toutes les villes du pays ne disposent pas d’enceintes adaptées à ces concerts géants. «C’est un peu comme lancer une compagnie aérienne sans avoir d’aéroport», a récemment résumé le PDG de BookMyShow, Ashish Hemrajani.
Les fans se plaignent du manque de commodités sanitaires, de dispositifs de gestion des foules peu efficaces ou d’un manque criant de places de parking pour les spectateurs motorisés. «C’était terrible», se plaint Ruchi Shukla, 27 ans, venue assister au concert d’une star indienne de la pop l’an dernier à Gurgaon, dans la grande banlieue de la capitale New Delhi. «Il fallait se battre pour arriver jusqu’à la salle, se battre pour en ressortir et encore se battre pour écouter le concert», décrit-elle.
Le comédien sud-africain Trevor Noah s’est plaint publiquement des mauvaises conditions d’accueil du public indien. En 2023, il a annulé des shows parce que le public ne l’entendait pas sur scène. En janvier, le groupe américain Cigarettes After Sex a lui aussi été contraint de renoncer à un concert à Bangalore à cause de «difficultés techniques». Pire : en décembre, un fan, Sheldon Aranjo, a fait grand bruit en rapportant sur les réseaux sociaux avoir dû, faute de toilettes, se soulager sur lui-même lors d’un concert de Bryan Adams.
«Couacs de jeunesse»
«On fait venir des artistes internationaux, on paie la même chose que les spectateurs du reste du monde, pourquoi ne serais-je pas en droit d’avoir une représentation de qualité?», interroge-t-il. Nullement inquiet, le patron du festival indien NH7, Tej Brar, ne veut voir là que les «couacs de jeunesse d’une industrie en pleine croissance».
Le promoteur Deepak Choudhary est lui aussi persuadé que la progression vertueuse du secteur «permettra à l’Inde de passer le cap de ses difficultés liées aux infrastructures». Dans un récent rapport, la Bank of Baroda a estimé que le bond des concerts pourrait rapporter à l’économie indienne jusqu’à 918 millions de dollars. «Le secteur est en pleine progression», souligne l’un de ses économistes, Jahnavi Prabhakar. «C’est quelque chose de totalement nouveau.»