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[Musique] Crystal Murray, la soul au cœur


En ignorant les genres et les frontières, la jeune Parisienne, aujourd’hui exilée à Londres, démontre sa pleine modernité.

Après une poignée d’excellents morceaux entre R’n’B, électro et pop-soul, Crystal Murray, 22 ans seulement, emmène le rhythm and blues contemporain dans de nouveaux territoires avec son premier LP, Sad Lovers And Giants. Découverte.

Si certains ont le rythme dans le sang, Crystal Murray a la musique dans l’âme. Il est question d’âme, oui, de soul, logée à la racine de son arbre généalogique, puisque ses grands-parents, déjà, chantaient de la musique spirituelle dans des églises américaines. Quant à son nom, Murray, il renvoie à son paternel, musicien de jazz afro-américain, dont le souffle lyrique s’est déployé dans l’embouche du saxophone ténor et de la clarinette basse. On pourrait encore décréter que c’est de sa mère, Valérie Malot, native d’une île volcanique des Canaries, que Crystal tient son tempérament éruptif. Et s’arrêter là. Mais non : sa génitrice, elle aussi, œuvre dans le quatrième art, via sa boîte de production, versée dans la musique afro-descendante. En fait, c’est comme si le bilinguisme de naissance de Crystal (le français et l’anglais) avait été consolidé par l’harmonie – un langage définitivement universel. Et il ne s’agit pas là de parler de sa vie au détriment de sa musique : les deux sont corrélés. Le parcours de Crystal Murray débouche sur ses morceaux, jusqu’à son LP en forme de graal qui sort demain, Sad Lovers And Giants.

Son côté caméléon n’est pas sans rappeler Janelle Monae ou Dawn Richard

Pour le civil, Crystal Murray naît en 2001, à Paris, son père s’y étant installé trois ans avant. 2001, c’est l’année de Bootylicious des Destiny’s Child et de Get Ur Freak On de Missy Elliot, quand le R’n’B et le rap au féminin pétaradent et innovent. Crystal prolonge, plus que le geste, les sonorités, en amenant le genre plus loin, plus haut. Ailleurs. C’est quoi le R’n’B, à la base ? C’est la version reliftée du rhythm and blues, par les grands moyens, via les nouvelles technologies autant qu’à travers l’efficacité pop : expérimentations électroniques, refrains accrocheurs, gimmicks adhésifs, beats lourds qui excitent le déhanchement, feeling sexy et voix satinées qui font écho aux timbres des plus célestes divas. Crystal Murray poursuit dans cette voie. L’équation s’avère logique : il s’agit de s’abreuver à la source des grands artistes qui l’ont bercée, de John Coltrane à Marvin Gaye, jusqu’à son idole Prince, pour les plonger dans un chaudron moderne, rap, trap, indie, 2-step ou encore jungle. Et d’y faire glisser sa voix éraillée, maquillée ou pas d’effets, ce grain si familier, mais pas au sens où il convoquerait des fantômes, mais parce qu’il apprivoise l’oreille illico.

Si Crystal Murray s’est fait connaître par Gucci Gang, son groupe d’influenceuses de mode, sa musique pourrait alors faire penser à la friperie, dans le principe d’endosser un habit déjà porté tout en lui conférant un éclat neuf. Sauf que ce n’est pas le cas. En plus du fait que pléthore de titres ont été ébauchés à l’adolescence, elle a tant écouté Kelis, Macy Gray ou Betty Davis, que son disque laisse surgir sa pulsion, naturelle, de s’aventurer vers des zones inexplorés – sonorités amples, déconstruction couplet/refrain, mélodies ingénieuses et voluptueuses, production à cheval entre l’avant-garde et l’ère du tempo. Son côté caméléon n’est pas sans rappeler Janelle Monae ou Dawn Richard, pour citer des contemporaines. À vingt-deux ans, elle possède la maturité d’une artiste qui a beaucoup fait autant que la spontanéité de son jeune âge; son expérience n’empêche pas de laisser la porte ouverte à l’apprentissage. Ce savoir-faire autant que cette soif de découverte cimentent la fraîcheur de ses chansons.

Enfin, Crystal Murray ne tourne pas le dos à la cause des femmes, le coup de poing levé. Pour le spoiler de l’album, il y a déjà PAYBACK en rotation, avec son beat qui tabasse façon mix de techno et d’afrobeat; les percussions, incisives, sont agrémentées d’un synthétiseur qui génère frissons et angoisse. C’est de la musique de combat, à l’image du clip coloré par une aube en sang. Si l’artiste en a marre qu’on la présente comme «un petit soleil», ici les rayons mordent, comme elle-même avec son fouet dans les mains ou dans la voix, bien accompagnée de son équipe d’amazones. Girl power. Il s’agit pour la chanteuse de se libérer, y compris des genres musicaux, qui sont, aujourd’hui, trop cloisonnants. Ce qui tombe à pic : avec Sad Lovers And Giants, Crystal Murray invente une néo-soul, sinon un post-R’n’B étincelant.

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