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[Musique] Cola : le rock qui rafraîchit


Retrouvez la critique musicale de la semaine.

Il y a dix ans, la scène post-punk anglo-saxonne commençait à rugir à travers toute une palette de groupes inspirés, au-dessus desquels dominaient toutefois deux ambassadeurs qui confirmaient leurs aptitudes de chefs de meute : Protomartyr, depuis la ville de Detroit, signait ainsi le ténébreux Under Color of Official Right, tandis que Parquet Courts, à New York, balançait le remuant Sunbathing Animal.

Moment choisi pour Ought, obscure formation canadienne, de s’incruster dans le paysage entre les deux caïds avec More than Any Other Day, premier album de très haute tenue né de l’esprit contestataire entourant le Printemps d’Érable et qui, au passage, rappelait que Montréal n’était pas que la seule patrie d’Arcade Fire et de Godspeed You ! Black Emperor.

À sa tête, un garçon discret, Tim Darcy qui, planqué derrière sa guitare et son micro, allait démontrer son talent lors de la décennie suivante. Outre une escapade en solo loin d’être essentielle (Saturday Night, 2017), le musicien va enchaîner les bonnes idées, d’abord au sein de son groupe de cœur, visibles à travers deux disques qui ne se ressemblent pas – Sun Coming Down (2015) et Room Inside the World (2018) – et qui, en creux, racontent l’évolution d’un quatuor moins énervé qu’à ses débuts, troquant ses références de toujours (The Fall, Television, Gang of Four) pour d’autres plus policées (Kate Bush, Brian Eno). Avait-il alors tout dit ? Car Ought va décider d’arrêter les frais en novembre 2021. Cependant, sur le même communiqué annonçant sa dissolution, une bonne nouvelle rassure les fans : Cola va prendre le relais.

Si Ben Stidworthy (basse), fidèle compagnon de jeu de Tim Darcy, est encore de l’aventure, la bande lâche le synthétiseur et passe en trio avec la venue du batteur Evan Cartwright, musicien branché jazz et pop expérimentale. Une façon, sûrement, de revenir à ce qu’est le rock dans son approche minimaliste. The Gloss en est la confirmation, bien que son appellation reflète moins cette envie de concision qu’une forme de brillance et de superficialité.

Mais les dix titres (pour 39 minutes d’écoute) confirment l’idée : mettre côte à côte sonorités dissonantes, mélodies (parfois décousues) et production à l’os, recette qui a défini dans ses grandes lignes l’âge d’or du rock dit «indépendant» de la fin des années 1980 et du début des années 1990, avant que les synthétiseurs et les refrains trop accrocheurs ne prennent le dessus.

Au succès, privilégions l’aventure

Groupe à guitare, Cola dépasse toutefois la formule simpliste. C’est d’abord un collectif qui évolue, à son rythme, avec quelques constances : dans son ADN, déjà, il y a toujours ces alternances entre tension et apaisement. Ensuite, côté textes, Tim Darcy, à la manière d’un Stephen Malkmus (Pavement), continue de distiller ses observations sur un monde qui part à vau-l’eau et sur la banalité du quotidien, avec ce soupçon de poésie et de cynisme qui les rendent énigmatiques.

Si les paroles demandent un peu de travail pour être décodées, la musique, elle, se veut plus abordable. D’abord par une production plus léchée, moins brute. Mais également grâce à un état d’esprit positif, caractérisé par des mélodies entraînantes, à l’opposé de la froide frustration sensible sur Deep In View, leur premier album (2022).

Pour tout ça, The Gloss est un modèle d’honnêteté et de précision. Malgré l’air du temps et ses penchants électroniques, Cola ne sort aucun effet de manche et martèle que le rock peut se faire à trois, avec intelligence et cohésion. C’est vrai, quand on se connaît et que l’on se suit, un bref changement d’accord peut instantanément transformer l’essence d’une chanson. C’est ce qui ressort de cette production, enregistrée en direct et portant en elle les nombreux concerts que le groupe a donnés aux États-Unis et en Europe.

Les preuves de cette camaraderie sont nombreuses, de la magnifique introduction Tracing Hallmarks (ramenant à un autre joyau de Ought, Sun Coming Down) à la conclusion, non moins sublime, Bitter Melon. Une chanson qui, contrairement aux autres, court sur six minutes, lorgne du côté de The Smile et ouvre de nouvelles perspectives. C’est dit, la recette de Cola devrait encore évoluer, à moins que Tim Darcy ne décide de repartir sur du neuf. Oui, au succès, privilégions l’aventure.

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