Retrouvez la critique musicale de la semaine.
Quand il s’est montré au grand jour sur l’un de ses albums, avec son nom pour seul titre et son visage sur la pochette, Chris Cohen confirmait deux choses : que peu de monde le connaissait malgré une carrière longue de vingt ans dans le milieu. Et que sa musique correspond bien à sa personnalité : douce, délicate et jamais tape-à-l’œil. Comme lui, on a l’impression qu’elle a peur de laisser une trace trop manifeste, vite résumée.
C’est pourquoi elle exige du temps et plusieurs écoutes pour être appréciée et comprise à sa juste valeur. Le multi-instrumentiste, né à Los Angeles il y a presque cinquante ans, est comme ça : ce qu’il aime dans ses chansons, c’est ce qui se cache derrière les évidences. Sa pop, d’apparence facile et faussement décontractée, regorge en effet de subtilités, de fractures, d’artifices. C’est ce qui fait son charme. Pour son auteur, c’est même une philosophie.
Toute sa discographie s’en veut le témoin : d’abord celle construite avec les formations The Curtains, Cryptacize et, bien sûr, Deerhoof, chantre d’un art rock aux petits oignons. Ensuite, celle concoctée pour les autres, accompagnatrice précieuse des premiers moments d’Ariel Pink et de Cass McCombs, sans oublier ses patronages plus récents auprès de Kurt Vile ou encore de Weyes Blood (il est crédité à la production de son magnifique Front Row Seat to Earth en 2016).
Enfin, celle composée par ses propres soins en solo : Overgrown Path (2012), As If Apart (2016) et Chris Cohen (2019). Trois disques signés chez Capture Tracks, qui font dire à son propriétaire Mike Sniper sur Twitter: «Chaque fois que je déprime à l’idée de diriger un label de rock indépendant, je me console en me disant que j’ai sorti les albums de Chris Cohen». Voilà qui est dit et qui pose un homme, un artiste.
Une sucrerie à se mettre entre les oreilles
Malgré les éloges, il a décidé, avec Paint a Room, d’ouvrir un nouveau chapitre à son histoire. Déjà, ce quatrième disque marque son entrée chez Hardly Art (affilié au mythique label Sub Pop, ce qui devrait lui offrir une plus grande visibilité). Et il porte en son sein une autre manière de créer. Par le passé, Chris Cohen privilégiait en effet les moments d’isolement en studio, seul aux manettes et derrière une douzaine d’instruments.
Là, à l’inverse, c’est la grande ouverture avec la présence à ses côtés d’un groupe tout aussi habité que lui, efficace d’un point de vue rythmique et aux subtils arrangements de flûte, de saxophone et de clarinette. Mieux : plutôt que de s’accaparer ses chansons, il les a emmenées en tournée et confiées à ce collectif polymorphe. Une distanciation bien vue qui va leur donner plus d’ampleur qu’à l’accoutumée.
Forcément, la démarche collégiale donne d’autres résultats : dans cette production d’un grand raffinement et d’une concision peu habituelle pour le genre (dix titres qui courent sur une demi-heure), la voix de Chris Cohen prend ses aises et semble comme planer, dominant les harmonies du haut de son nuage. Évidemment, quand on laisse de la place à d’autres, la musique s’enrichit au gré des idées communes.
Ici, on saute du jazz à la bossa nova, des congas aux synthétiseurs, d’une ambiance tropicale à des passages moins ensoleillés. Car c’est le but du jeu : être accessible, ou plutôt cohérent, tout en déstabilisant l’auditeur avec des structures bancales juste comme il faut, des changements de cadence, de tonalité et d’humeurs (acoustiques et électriques). Sans oublier quelques bizarreries glissées ici et là.
Mais il ne faut pas s’y méprendre : si Paint a Room est un objet qui peut s’apprécier pour la qualité de ses arabesques (prouvant au passage tout le talent de compositeur de son auteur), c’est avant tout une sucrerie à se mettre entre les oreilles, pas si vintage que ça.
L’été étant enfin là, la proposition arrive comme qui dirait à point, partenaire idéal de vacances à la cool. Allongé sur la serviette, la tête au calme et le corps au chaud, on se souvient alors que, petit, Chris Cohen a été initié à la méditation transcendantale par ses parents. Dans cette position, son intention est désormais bien plus claire.