Accueil | Culture | [Musique] Balladur à la KuFa : psychédélisme apolitique

[Musique] Balladur à la KuFa : psychédélisme apolitique


Édouard Balladur, ancien Premier ministre français, n’inspire pas la gaudriole. Il est, en revanche, très drôle d’appeler son groupe Balladur. Vous pourrez vérifier ce vendredi soir à la Kulturfabrik : il ne s’agit pas d’une blague, mais d’un excellent duo pop.

Rock & joke

L’humour et la musique ne sont pas obligatoirement compatibles. Pourtant, les deux se sont souvent étreints, pour le meilleur et surtout pour le pire. On peut ne pas toujours être fan des humoristes qui chantent, mais on peut être sensible à certains chanteurs qui font de l’humour. De Boris Vian à Boby Lapointe en passant par Serge Gainsbourg, nombreux sont ceux qui «jouent avec les mots», et ce, soutenus par un orchestre, car il n’y a rien de mieux qu’un coup de baguette pour ponctuer un calembour.

Et puis il y a les rigolos à la Richard Gotainer, qui, par ailleurs, a enchaîné les chansonnettes-gimmicks à destination de la pub; les slogans sont un peu des mini-tubes ou des blagues Carambar. Oui, il y en a pléthore, et bien au-delà du siècle dernier, de Philippe Katerine en moule-bite à Sébastien Tellier qui chante avec une cigarette dans le nez, en passant par Dondolo et ses «synthés qui font pouët pouët». Il y a toutefois un hic : écrire des chansons rigolotes, c’est le risque de ne pas être pris au sérieux. Nino Ferrer s’en est même lamenté auprès de son ami musicien Richard Bennett : «J’ai écrit et produit près de 200 chansons et les gens n’en connaissent que trois».

Les plus courtes sont les meilleures

Nino Ferrer n’a pas connu le XXIe siècle (il est mort en 1998). Il n’a, par conséquent, pas pu écouter de groupes français qui, d’emblée, ne mettent pas toutes les chances de leur côté, avec des noms à coucher dehors. Quand on prend pour pseudo Didier Super et qu’on fait le zouave sur scène en chantant comme une casserole, c’est cohérent. Quand on choisit de s’appeler – pour rester dans le même champ lexical – Voyou, Baston ou Bagarre et qu’on fait de la belle pop au premier degré, c’est dommage.

Les blagues les plus courtes, dit-on, sont les meilleures : cela fait dix ans que celle de Balladur dure. Dur dur… Comme disait justement ce cher Édouard : «Je vous demande de vous arrêter». Bon, cette «joke», on a dû la leur faire un tas de fois, à Romain De Ferron (voix, guitare, clavier) et Amédée De Murcia (synthétiseur, sampler, mixage), ce duo originaire de Lyon qui, un beau jour a choisi, en guise de nom de scène, celui du Premier ministre français sous François Mitterrand de 1993 à 1995.

Édouard Balladur et la pop

«J’aimerais bien revoir quelques moonwalks » avait déclaré Édouard Balladur en 2009, à la suite de la mort de Michael Jackson. Il n’empêche que l’on connaît fort mal ses goûts musicaux, contrairement à Jacques Chirac qui était féru de Johnny Hallyday, ou à Nicolas Sarkozy qui est un grand amateur de Didier Barbelivien et qui fut proche de Faudel et de Doc Gynéco. Parmi les hommes politiques français, Balladur n’est pas le plus cité chez les rappeurs, pourtant jamais avares en «name dropping». Doc Gynéco (dans Nirvana) : «Comme Beregovoy / Aussi vite que Senna / Je veux atteindre le Nirvana» ou Booba (dans Kalash) : «B.2.O.B.A / Escroc mafieux comme Charles Pasqua».

Mais si, Édouard est représenté, par Vald (dans Si j’arrêtais) : «Je suis dans le dur et dans le tur’ comme dans Balladur». Bref, il fallait un combo, non pas de rap mais de pop, qui rende un hommage, fût-il caustique, à Édouard Balladur, juste en reprenant son patronyme. Passons maintenant aux choses sérieuses. Qui est donc ce Balladur? Est-ce du rock politique ou politiquement incorrect? Un groupe réactionnaire, voire carrément vieille France? Il y aurait alors une piste : les productions du duo sont sorties, en partie, sur cassette audio. On pourrait alors y entrevoir une certaine nostalgie snob. Mais encore : Balladur, est-ce une blague postmoderne, pseudo-punk, situationniste? Non, rien à voir, vraiment aucun rapport avec tous ces a priori. La meilleure blague du duo, finalement, c’est bien cet écart entre leur nom et leur musique.

Plus perché que drôle

Il y aurait bien un autre trait humoristique chez Balladur : Romain et Amédée justifient le nom de leur groupe en expliquant qu’il renvoie à «Danse dur» – «Balla», en italien, signifie «danse». Pour la partie dansante, il y a en effet des guitares qui virevoltent et dévient, agrémentées d’une boîte à rythmes qui régule la boîte à rimes. La dimension aléatoire des textes transpire le cadavre exquis, sinon l’agencement d’images par flashs absolument déstructurés. Cela dit, Balladur n’est pas une parodie, une arnaque surréaliste encore moins, du genre de celle qui, à force de vouloir rien dire, ne rimerait à rien. Il faut danser, lentement mais durement.

Il y a, pour ce faire, du rock perché avec un son de batterie qui s’apparenterait à des boîtes de conserve, si l’on va, matériel y compris, du côté de l’improvisation, du free jazz ou du post-prog. Horizontales ou verticales, les rythmiques qui vacillent entre euphorie et neurasthénie génèrent le «headbanging» avec un torticolis. Aussi, après une comptine grattée et phagocytée par des bruits de bestioles et de machines démantibulées, il y a des effets wah-wah synthétiques qui dégoulinent entre parenthèses comme des bras qui envelopperaient la mystérieuse Lisa. Mais aussi : des démos «ambient» de musiques de films perdues dans le tiroir d’un vidéoclub qui a mis la porte sous la clef.

Excellent au premier degré

Tout cela paraît un peu alambiqué? Pour être plus concret, et puisqu’ils ont un nom de chanson en commun, à savoir Les Oiseaux, sur le plan du psychédélisme, Balladur est à Moodoid ce que More (Barbet Schroeder, 1969) serait aux hippies. Autrement dit : le versant sombre et lo-fi involontaire, sale mais purificateur, à la fois hors format et attractif. Tout part d’une cold wave barbare qui laisse entrer dans son tunnel expérimental une mosaïque de sonorités bariolées en écho aux mélodies. Le minimalisme vire au grandiloquent (sur Verse-moi, notamment), ou quand l’aliénation des machines de Crash (JG Ballard, 1973), finit en tas de cendres qui se transforme en poussière d’étoiles diluée dans l’eau d’un vase.

Autre point : Amédée chante parfois en italien, à l’instar de Sébastien Tellier, Gabriel Auguste ou Julien Barbagallo, mais sans comprendre la langue. Le titre La Saison de l’amour renvoie donc, forcément, à La stagione dell’amore de Franco Battiato. Mais si le duo parle du fantasme de l’exotica, il connaît la musique «du monde» sur le bout des doigts. En plus de s’inspirer de la pop japonaise ou de mentionner des labels tels que Sahel Sounds, Ostinato Records et Tapes From Africa, Balladur reprend Angka Satu, un tube indonésien signé Caca Handika. Voilà, voilà, tant sur le plan musical que géographique, Balladur emmène le rock français ailleurs. Il n’y a donc vraiment, mais vraiment pas de quoi rire.

Ce soir, à partir de 21 h.
Ratelach (Kulturfabrik) – 
Esch-sur-Alzette.
GRATUIT.