Nicool, la voix féminine du rap «made in Luxembourg», revient avec cinq titres dans lesquels elle évoque son basculement dans la vie d’adulte et celui d’un monde qui s’effiloche. Mais avec la même insouciance qu’avant. Entretien.
Son premier album, Den Ufank vum N, remonte déjà à l’été 2019, mais depuis, Nicool n’a rien perdu de son mordant ni de sa notoriété. Rare rappeuse au pays, épaulée par les pionniers de De Läb et quelques beatmakers nationaux, elle continue à avancer à son rythme et à faire bouger les têtes avec un rap «old school» qui aime les rythmes qui claquent et les scratches. Après une poignée de singles, elle revient avec N vun der Welt, EP où elle fait apprécier le sens de la rime en luxembourgeois et dans lequel elle évoque son désarroi de jeune adulte. Confidences tous azimuts d’une future thérapeute qui ne cache pas ses émotions. Mieux, elle les partage.
En quatre ans, vous n’avez sorti que deux albums, dont un EP ce samedi. C’est un rythme « à la cool », non ?
Nicool : (Elle rigole) Oui, c’est assez tranquille. Bon, il faut dire je n’ai pas fait que ça : j’ai aussi sorti quelques chansons, et l’année dernière, j’ai terminé mon album de hip-hop destiné aux enfants (Nikki Ninja & Afrobeathoven). Oui, tout ça m’a bien occupée.
Le single, est-ce un moyen d’être plus flexible ?
Tout à fait. C’est que je ne suis qu’à moitié musicienne : je travaille aussi comme psychologue. C’est mon métier. Du coup, ce rythme-là me va bien! Il a plusieurs avantages : ça me permet de concrétiser tout de suite une idée, d’écrire une chanson sans avoir sur les épaules la charge que représente la réalisation d’un disque. Ce choix est aussi moins contraignant, surtout quand on aime collaborer avec plein de gens différents, comme moi. On s’arrête alors à un titre et on profite des bonnes vibrations, sans tomber dans les galères administratives, d’organisation. Sans oublier les discussions sans fin.
Ce n’est pas vous qui écrivez la musique. Comment se passe la relation avec les beatmakers ?
C’est à double sens : parfois, c’est moi qui me tourne vers eux pour leur demander des sons plus joyeux, plus agressifs, ou de mettre un peu de guitare dedans, par exemple. Mais souvent, ce sont eux qui m’appellent pour me dire : « J’ai des beats finis, passe donc à la maison! ». Je fais alors mon marché.
Cette année, j’ai dû remplir une feuille d’impôt. Le choc a été énorme!
Est-ce la musique qui influence alors votre écriture ?
Ça dépend là aussi. Disons que c’est du cas par cas : parfois, les paroles me viennent sans musique, ou alors je trouve l’inspiration en me mettant au piano, avec lequel je m’amuse souvent, ou en écoutant un son sur internet. D’autres fois, c’est le rythme ou les mélodies que l’on me propose qui m’influencent.
Est-ce compliqué de rimer en luxembourgeois ?
(Elle réfléchit) C’est difficile de répondre, car je n’ai pas beaucoup d’autres références, sachant que le luxembourgeois est ma langue maternelle. Du coup, je ne trouve pas l’exercice si compliqué que cela, à condition bien sûr d’être créative. C’est tout l’enjeu! Il faut sans cesse trouver des astuces pour que ça marche. Après, oui, peut-être que l’anglais, par la richesse de son lexique, offre naturellement plus de possibilités.
À vous entendre, ça a l’air simple…
Non, il arrive qu’écrire soit un véritable casse-tête. Quand ça ne veut pas, franchement, c’est juste horrible. Il arrive que j’enferme un texte dans un tiroir, pour le retrouver deux mois après avec une nouvelle motivation. Et beaucoup de courage! À l’inverse, on peut prendre un stylo et tout s’enchaîne avec fluidité, d’une traite.
Le titre de votre nouvel album, N vun der Welt, signifie « fin du monde ». Mais il y a aussi ce N, en référence à votre nom de scène. Que faut-il alors comprendre ?
Mes textes parlent toujours de ce que je connais, ma situation, mes sentiments, que je place ensuite dans un contexte plus global. Cette fin du monde, c’est vrai, parle en creux des crises multiples qui agitent la planète. Mais à la base, ça correspond à la fin d’un monde que j’ai connu. Au fait de grandir, de voir mille choses changer autour de moi, de partir vers l’inconnu aussi.
Ça vous inquiète ?
Les changements, heureusement, font partie de la vie, et la fin d’un monde implique aussi d’en construire un nouveau. C’est juste que ça va très vite… (Elle prend alors un ton moqueur) Mais la musique va me permettre de passer le cap!
Avez-vous des exemples concrets ?
Des choses très bêtes, parfois de l’ordre du détail, comme le fait, par exemple, de remplir une feuille d’impôt (elle rit). Franchement, le choc a été énorme! Si c’est ça, grandir…
Quel est alors le ton de ce disque ?
Disons qu’il navigue entre différentes humeurs : j’y parle de routine, de vieillissement, mais aussi d’espoir et de lâcher-prise. Je libère aussi la partie méchante en moi. Ça fait du bien!
Dans le morceau qui donne le nom à l’album, vous vous mettez en avant, en mode egotrip. Ça aussi, ça fait du bien ?
Clairement. Surtout que ça fait trop longtemps que je n’ai pas dit que j’étais la meilleure (elle rit).
Si j’ai vraiment envie de me lâcher, je me mets au piano…
On vous rattache souvent à la veine dite du rap conscient. Dans ce sens, votre musique se doit-elle de raconter quelque chose ?
C’est flatteur, bien que le terme soit difficile à définir. Si, en effet, les paroles sont importantes, tout comme le fait d’être connectée au monde, moi, je préfère parler en terme d’émotions. C’est ce qui m’intéresse, et c’est pour cette raison que je fait du rap, que je partage ma musique : transmettre mes sentiments au public, et espérer qu’il y soit sensible.
En quoi votre rôle associatif et éducatif vous y aide-t-il ?
En tant que psychologue, et bientôt thérapeute, je passe mes journées à réfléchir à ça, à comment se gèrent les émotions, à comment elles se passent, et à comprendre cela à travers différentes histoires qu’on me raconte. Attention, je tiens à le préciser, je ne parle jamais de mes patients dans mon rap. Le sujet principal, ça reste moi. Même si on peut être sous influence. Dans le jargon, ça s’appelle le « transfert/contre-transfert »!
Le rap a-t-il alors, pour vous, un côté cathartique, médicinal ?
Je différencie la musique de mon métier. C’est essentiel. Si j’ai vraiment envie de me lâcher, je me mets au piano, idéal à mes yeux pour lâcher ce que l’on a sur le cœur et en tête. Sans oublier que le rationnel est indispensable à toute forme d’écriture. Sinon, pour l’aspect cathartique, il y a aussi la performance, la scène.
Le côté « old school » se remarque clairement dans votre musique, entre boom bap et scratch. Ça vous vient d’où ?
Déjà, j’ai toujours aimé écouter les anciens sons, aussi bien des États-Unis que d’Allemagne. Et puis, j’ai eu la chance de connaître De Läb assez jeune, qui m’a confirmé à quel point cette musique est géniale. À travers leur label, j’ai aussi fait plein de découvertes, comme récemment avec Bahamadia.
Le rap, faut-il qu’il bouscule, qu’il envoie ?
Oui, c’est possible, mais ce n’est pas l’essentiel. Encore une fois, pour moi, c’est l’émotion qui prime.
Une jeune femme au Luxembourg a-t-elle beaucoup de choses à dire aujourd’hui ?
Tout à fait, mais autant qu’un jeune homme (elle rit). C’est d’ailleurs dommage qu’elles ne s’emparent pas d’un micro pour le dire. J’ai justement fait ce single, Wou ass d’Fra?, qui questionne la place de la femme dans la scène musicale au Luxembourg. Pourquoi y en a-t-il si peu? Je n’ai pas la réponse. Il faut oser, c’est certain, mais ça ne suffit jamais! Je suis un bon exemple : si un ami ne m’avait pas tirée par le bras au milieu d’un « cypher » (NDLR : groupe de rappeurs qui se rassemblent pour improviser en pleine rue), est-ce que j’aurais continué à chanter? Pas sûr.
Certaines franchissent tout de même le pas. Vous sentez-vous un peu dans la peau d’une pionnière ?
Pionnière, non. Le terme est trop fort. Mais celles et ceux qui ont besoin d’un conseil peuvent venir me voir. Il y a tellement de gens qui m’ont aidée sur mon chemin, et m’aident toujours, que je ne me vois pas refuser d’appuyer les autres. C’est aussi pour cette raison que l’on retrouve la rappeuse Momma Merlin sur mon EP (NDLR : sur le titre Plakeg). Elle a du talent, autant que ça se sache! Alors oui, si j’arrive à que certain(e)s croient en eux, ce serait superbe.
«N vun der Welt Release» Samedi à partir de 20 h. Rotondes – Luxembourg. Avec V.I.C, Dany Le Loup, Momma Merlin & DJ FKI.