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[Musique] Avec Mustang, le rock français renaît de ses cendres


L'album est traversé par des cordes ou par un instrumental au saxophone d'une belle amplitude «morriconienne» (Tiretaine, Amen). (Photo : minhia defoy)

Depuis 2009, Mustang fait du rock en français. Une espèce en voie de disparition? Avec Mégaphenix, son cinquième album, il donne de l’éclat au genre.

R.I.P. le rock français?

En 2002, Chicken Boubou avait sorti Que le rock français repose en paix, une parodie du morceau de Booba, Repose en paix. Il était question, dans le cas du second, du «hip-hop français» qui repose en paix : une façon de dire à la fois qu’il en fait partie, mais qu’il se situe au-dessus. «Le rap français / Le hip-hop / J’en ai rien à foutre», réitérera-t-il sur Garde la pêche. Dans le cas du rock, en l’occurrence hexagonal, c’est, bien sûr, différent du rap : il n’y a pas la «culture du clash», comme il n’y a pas, sur un album, dix mille «featurings» – aussi parce qu’il y a très peu, dans le rock français, de prétendants au «trône», pour paraphraser le titre d’un disque de Booba.

Dans Que le rock français repose en paix, Chicken Boubou citait, en vrac, Les Chats Sauvages, Les Chaussettes Noires, Plastic Bertrand (!), Didier Barbelivien (!!), mais le rappeur-humoriste s’arrêtait assez vite, comme s’il avait un trou de mémoire ou qu’il avait, en quelques noms, fait le tour de la question. Mauvaise foi acide ou moquerie lucide? La question reste encore légitime : qui, en France, représente le rock à grande échelle? Aujourd’hui, sur le plan de la notoriété et, par extension, de l’aura, c’est un constat : aucun «rockeur» ne fait le poids face à Booba.

Rock ou pas rock

En tout cas, si le rock français «repose en paix», c’est qu’il a bien dû exister. Entre les yéyés, le psyché Baba Scholae, les rockeurs prog, les keupons Bérurier Noir, les dandies synthétiques, la chanson «alterno», le bouillonnement du metal ou le garage underground, le rock français n’est pas un squelette qui aurait changé de costume. Sorti l’an dernier, le livre de Grégory Vieau Rock en France : de 1976 à nos jours, vient nous rappeler qu’à défaut de «scène française», il y a toujours eu une diversité dans le rock. Mais tout dépend de ce que l’on entend par «rock» : les fans d’Iron Maiden auraient peut-être du mal à étiqueter ainsi certains groupes mentionnés par l’auteur. Problème de langue : le français mélodique ne s’accorderait pas au rock, mais le «talk over», bien davantage – c’est l’héritage Gainsbourg.

On pouvait, à chaque fois, s’attendre à un album rock de Christophe ou de Daniel Darc, voire d’Alain Bashung, sauf que c’était autre chose que du rock, et pourtant c’en était davantage que d’autres. Toujours est-il que le rock en France, qu’il louche sur la «chanson à texte» dont il est difficile de s’affranchir ou qu’il s’appuie trop sur des modèles anglo-saxons, a toujours été vivant, qu’il brille au centre ou qu’il gigote en marge. Aujourd’hui, il est de plus en plus marginal.

En marge

Ces dernières années, il y a eu Pan European, label au départ psyché-kraut, comme il y a eu la scène garage post-Jay Reatard (disparu en 2010), incarnée par Catholic Spay et d’autres amis du catalogue Born Bad Records. Entendons-nous bien : il s’agit là d’une scène underground. Pourtant, le rock a gagné. Des «cinéastes rock» aux «écrivains rock», le rock en tant qu’épithète ou sa variante «punk» perdurent, pour qualifier une pose, un contenu «wild», «trash». Le rock est partout; c’était déjà la thèse, en 2007, du roman Nous sommes jeunes nous sommes fiers, de Benoît Sabatier, et c’est toujours valable.

Il n’empêche que le rock (rythmique, guitares en avant, look, etc.) renvoie, dans le paysage musical français, à une niche – quel équivalent y a-t-il à The Strokes ou, en Italie, à Maneskin? Le même Benoît Sabatier, avec Marcia Romano, a réalisé des «films rock», ce qui sonnerait presque comme un contresens en France. Aussi passionnant soit-il, Who Killed Nancy – Tribulation d’une scène post-punk dans l’est de la France (Otomo de Manuel, 2022) reste un documentaire confidentiel, alors que la série sur le musicien rap-electro DJ Mehdi (Thibaut De Longeville, 2024) est un gros carton. Le rock concerne quelques passionnés, des espèces d’oiseaux (de nuit) en voie de disparition. Jean Felzine a écrit l’hymne ultime à propos de cette drôle d’espèce : Mes amis dans le rock.

Bande d’esthètes

Jean Felzine, c’est le leader de Mustang, il en est le guitariste, le claviériste et le chanteur. Quand le groupe a garé sa voiture il y a quinze ans, il s’avérait déjà difficile de ne pas le percevoir en tant qu’anomalie. Cheveux gominés, guitares vintage, réhabilitation du rockabilly : il y avait comme un décalage qui pouvait toutefois inspirer une certaine fascination. Et même, pourquoi pas, un geste didactique pour les nouvelles générations, en admettant même que ceux qui avaient quinze ans lors de la vague des «bébés rockeurs» (BB Brunes, Naast, Plasticines…) aient atteint la vingtaine lorsque Mustang a sorti A71 (2009), son premier album.

Chez Mustang, il peut y avoir cet écart entre Buddy Holly et la musique de jeux vidéo, mais le groupe a toujours moins eu l’ambition de taper des poses ou de mettre le boxon «rock’n’roll» que de se décarcasser pour livrer des chansons joliment arrangées. «Songwriting» propre, production jamais désuète : Mustang est plus l’enfant de Polnareff que d’Elvis. Un exemple, un seul : Restons amants (sur Tabou, en 2011) est une jolie ballade pop. À l’horizontale, forcément. L’échappée belle de Jean Felzine avec sa compagne Jo Wedin (Pique-nique, 2017) reste un «disque de couple» raffiné que beaucoup en France fantasmeraient de composer.

Le rock français est vivant

Sur Mégaphenix, le dernier album de Mustang, la voix de Felzine, comme toujours, n’a pas peur d’escalader les aigus. Les lyrics restent soignés, lucides, pas fielleux, mais mordants (à l’instar d’Aérosol, sur les antivax). C’est de la «chanson à texte» qui se fond dans les compositions «rock». Vu que c’est si évident, pourquoi la concurrence met-elle la barre si bas? Plusieurs journalistes ont élu Felzine «meilleur parolier de sa génération». Il le prouve à nouveau ici dans un hymne, cette fois-ci acerbe, sur la… Chanson française.

L’album est traversé par des cordes ou par un instrumental au saxophone d’une belle amplitude «morriconienne» (Tiretaine, Amen). Il y a encore des solos de guitare (Mortification, Je ne suis plus aimé) qui n’attendent que de s’étirer en live. Le batteur a changé : ce n’est plus Rémi Faure, mais Nicolas Musset (Louise Attaque) qui tient les baguettes. On trouve enfin – tiens, tiens – un «featuring» avec Arthur Teboul (Feu! Chatterton), sur Aéroport, un morceau qui rappelle un passage de Plateforme (2001), quand Michel Houellebecq développait l’idée selon laquelle le monde tendait à ressembler de plus en plus à un aéroport, par effet de globalisation. Bref, le rock français n’est pas mort. Ou alors s’il l’est, il renaît encore avec Mégaphenix.

Mégaphenix, de Mustang.