Fans de l’univers de John Carpenter, les musiciens One MPC et Shake The Disease démarrent ce soir leur nouveau projet sur la scène des Rotondes : un ciné-concert autour de Dark Star, comédie de science-fiction anarchiste et premier film du «master of horror».
Avant d’être le cinéaste culte de Halloween (1979), Escape from New York (1981), The Thing (1982) ou encore They Live (1988), John Carpenter n’était encore qu’un étudiant de l’école de cinéma rattachée à l’Université de Californie du Sud (USC), quand il réalise Dark Star. Le film, long de quarante-cinq minutes, emprunte autant à 2001 : A Space Odyssey (Stanley Kubrick, 1969) qu’aux vieux films de science-fiction et aux westerns que Carpenter affectionne tant, et raconte la conquête de l’espace sous la forme d’une comédie résolument anarchiste.
Ce film fauché, John Carpenter l’écrit, le produit, le réalise et en compose la bande originale; son camarade de banc Dan O’Bannon le coécrit, y tient le premier rôle, réalise tous les effets spéciaux et en sera le monteur. Deux ans plus tard, en 1974, après l’ajout de nouvelles scènes, Dark Star sort au cinéma sous la forme d’un long métrage. La carrière de Carpenter et O’Bannon est lancée, et ce dernier reviendra souvent à son œuvre de jeunesse quand il réalisera les effets par ordinateur de Star Wars (George Lucas, 1977) et, surtout, quand il écrira le scénario d’Alien (Ridley Scott, 1979).
C’est un autre duo qui revisitera, ce soir, Dark Star dans sa version d’origine. Débarqués de la planète Metz pour envahir la scène des Congés annulés, David Rouby, alias One MPC, et Romain Laurent, alias Shake The Disease, allient leurs forces pour présenter pour la première fois devant un public ce nouveau projet, un ciné-concert qui marque leur «redémarrage» sur scène après un an et demi de pandémie. «On a eu la chance de travailler en création à la BAM en mars pour finaliser ce projet», indique Romain Laurent, qui «répond aux questions pour deux». Mais tout repart très vite : dès samedi, leur soucoupe volante se posera du côté de Troyes pour continuer à faire revivre ce grand film oublié.
Comment est née l’idée d’adapter Dark Star en ciné-concert?
Romain Laurent : Le projet est né pendant le confinement. Comme on est tous les deux des grands fans de Carpenter, on a profité du mois de mai 2020 pour revoir plein de films. Dark Star nous a pas mal touchés. C’est son film de fin d’études qu’il a fait avec Dan O’Bannon, il y a un côté bricolage qui est génial : les décors sont faits avec de la récup’, ils ont tout fait eux-mêmes et ça ne se voit pas du tout à l’écran. L’autre chose qui nous a attirés, c’est cet équipage complètement loufoque. Le film est sorti en 1974 mais c’est une vraie bande de hippies avec une ambiance bien foutraque. L’équipage est confiné dans son vaisseau depuis plusieurs années, il pète gentiment les plombs et on trouvait ça marrant de faire ça maintenant.
Dark Star nous apportait une certaine liberté. C’est un film qui nous a ouvert à pas mal de possibles
Le film existe dans trois versions : une version cinéma, une version « director’s cut » sortie plus tard et cette version de 45 minutes, qui est le film de fin d’études de John Carpenter. Pourquoi avoir préféré cette première version aux autres?
Pour une raison très basique : 45 minutes, c’est une bonne durée pour un ciné-concert. Un film d’une heure trente serait trop long pour le spectateur. Et puis quand on pense à Carpenter, on pense aux thèmes d’Halloween (1979), Assault on Precinct 13 (1976), The Thing (1982)… On pense beaucoup moins à ce film-là. Ça n’aurait pas eu de sens pour nous de nous attaquer à Halloween, et puis Dark Star nous apportait une certaine liberté. C’est un film qui nous a ouvert à pas mal de possibles. Sans compter que cette version, au contraire de la version cinéma, est libre de droits, ce qui a aussi joué dans la balance.
John Carpenter est autant considéré comme un maître du film de genre que comme un immense compositeur. Était-il difficile de ne pas revenir à ses compositions pendant que vous prépariez ce projet?
On est assez influencés par la musique de Carpenter. Ce qu’on a voulu faire avec ce projet, c’était de proposer une nouvelle bande-son. On n’a pas cherché à remanier l’ancienne ni à se calquer dessus : on a voulu faire quelque chose de nouveau – avec des clins d’œil à l’univers et à la patte de Carpenter, bien sûr – et trouver le son juste pour donner de la profondeur aux séquences clés, comme la scène d’ouverture et le final. C’est avant tout un travail sur l’ambiance, plus que l’accompagnement des images.
Vous avez tous les deux travaillé sur des ciné-concerts avant Dark Star…
Oui, on a tous les deux cette expérience dans les pattes. On a eu l’occasion de bosser chacun de notre côté sur différents trucs, moi sur plusieurs films, et David a notamment travaillé sur Night of the Living Dead (George A. Romero, 1969) avec le label messin Chez.Kito.Kat. Ensemble, on a participé à une soirée dédiée à Méliès sur le parvis du Centre Pompidou-Metz avec une dizaine de musiciens. Après Dark Star, on travaille sur le film russe L’Homme à la caméra (Dziga Vertov, 1929), que l’on proposera dans peu de temps. C’est une tout autre esthétique, notre approche est très différente.
Le processus de travail est-il différent à chaque film?
Avec Carpenter par exemple, on a une très chouette palette en termes de diversité sonore. On n’est pas dans un film classique, où tout est codifié. C’est aussi ce qui a motivé notre choix. Avec un synthétiseur modulaire et une guitare psychédélique sur scène, on a pu y aller joyeusement!
Sur scène, David utilise une boîte à rythmes des années 1980, le même modèle que Carpenter a utilisé sur plusieurs bandes originales
Parlons-en, des instruments…
David a plusieurs synthés avec lui, dont un ARP Odyssey et un ARP 2600, qui est une espèce de grosse valise avec plein de boutons (il rit). On dirait que l’instrument sort du film, ça colle parfaitement à l’ambiance! Il utilise aussi une boîte à rythmes des années 1980, le même modèle que Carpenter a utilisé sur plusieurs bandes originales. De mon côté, c’est un peu plus basique : j’ai une guitare « lap steel » (NDLR : posée sur les genoux) avec une pédale d’effets.
Un ciné-concert comme celui-ci est-il un bon projet pour se remettre en selle?
Oui! On a quelques dates jusqu’à la mi-octobre pour Dark Star, que l’on va faire tourner dans le Grand Est. On aimerait bien finaliser aussi L’Homme à la caméra, pour pouvoir diffuser une bande-annonce du spectacle dès la rentrée. Après, on a chacun nos projets : David est membre du groupe electro-rock No Drum No Moog qui a prévu quelques dates ces prochains mois, et mon projet solo, Shake The Disease, a aussi quelques dates jusqu’en octobre. Ce qu’on aimerait beaucoup refaire, c’est le festival des Siestes sonores, du côté de la Porte des Allemands, à Metz : on va prospecter dès septembre, en espérant que d’ici à ce que le festival se tienne, en août 2022, on ne rencontre pas de nouvelles contraintes…
Ce soir à 20 h.
Rotondes – Luxembourg.
Entretien réalisé par Valentin Maniglia