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[Musique] Arcade Fire : faut-il écouter Pink Elephant ?


Pink Elephant annonce le retour d’Arcade Fire. Alors que le groupe canadien figure, depuis une vingtaine d’années, en tant que poids lourd du rock, en 2022, le coleader Win Butler a été accusé d’agressions sexuelles par plusieurs fans. Focus.

Fanfare rock

Durant les années 2000, une scène rock tendance psychédélique palpite au Canada. Dans le lot, et même au-dessus de ce lot, il y a Islands et leur super premier album, Return to the Sea (2006), Sunset Rubdown, Wolf Parade ou Broken Social Scene – en somme, au pays de Leonard Cohen et de Céline Dion, les groupes psychés poussent comme des champignons.

Arcade Fire donne le coup de feu. Win Butler, Régine Chassagne et toute la troupe (on pourrait parler de «fanfare») forment la bande sur le fil chancelant de l’épique et du boursouflage, en fait quasi un «groupe FM» nouvelle génération.

Certes, parler de radio, alors que le premier EP du même nom d’Arcade Fire est publié en 2003, relève presque de l’anachronisme; Myspace est créé la même année, et internet commence à faire de l’ombre aux médias, en termes de pluie et de beau temps sur le paysage musical.

Jusqu’à ce qu’Arctic Monkeys, signés sur le label indépendant Domino, vendent plus de 360 000 de leur premier LP, Whatever People Say I Am That’s What I’m Not, la semaine de sa sortie – plus fort que les Beatles!

Arcade Fire, FM nouvelle génération? C’est l’anti-Arctic Monkeys si l’on veut et surtout si l’on part du principe que The Libertines, The Strokes ou encore The White Stripes et, un peu après, le combo d’Alex Turner, «sauvent le rock», genre qui semblait alors enfermé à double tour dans le placard à vinyles.

En 2004, avec Funeral, Arcade Fire transcendent largement le «classic rock», à travers des compositions grandioses, baroques, orchestrales.

À la conquête du monde

Par rapport au triptyque basse-guitare-batterie, Arcade Fire, c’est un chaudron power folk, une pop aventureuse barbouillée d’emphase, un rock lyrique qui fait la jonction entre le stade enflammé et la réunion autour d’un feu de camp.

Tout semble pouvoir y être incorporé, de l’anglais ou du français (bilinguisme canadien oblige), de la petite touche comme du gros trait, de l’accordéon, de l’orgue, du célesta, de la mandoline, des congas, du djembé, des violons, de la clarinette, du saxophone, de la concertina ou de la gadoulka.

Ce n’est pas l’intention qui compte, c’est le résultat. Funeral est un acte de naissance qui fait son effet, un album pesant puisque plus ou moins conceptuel sur la mort, et ce, dû au décès de plusieurs proches du groupe pendant l’enregistrement.

Il y a Neighborhood #1 et ses déclinaisons en quatre parties, labyrinthiques, grandiloquentes. Mais, à une époque où l’ordre des chansons a un sens, les Canadiens gardent le meilleur pour la fin, avec Haiti qui déboule, après un trop-plein d’interférences mélodiques, comme une aération au vent chaud, mais aussi Rebellion (Lies), tube étrangement «bowien» – David Bowie décrètera que Funeral est le meilleur album de l’année, avant d’assurer les chœurs sur le morceau-titre de Reflektor (2013).

Mais surtout, le pic : In the Backseat. Par-dessus les cordes, Régine Chassagne rappelle Björk, et ses «ouhwouhwouuuuh» concluent les funérailles avec des larmes dans la voix. Acclaimed Music, l’agrégateur de critiques du monde entier, place Funeral tout en haut du podium des albums de la décennie 2000. Wow. Arcade Fire, le groupe le plus fort du monde?

Les nouveaux U2

La suite? En accéléré : sur Neon Bible (2007), la chanson-titre s’avère fort minimaliste par rapport au reste, épurée, courte (2 minutes 15), sauf que l’album pourrait ne valoir le coup que pour Black Wave / Bad Vibrations, une bombe stratosphérique et angélique, une berceuse piquante démantibulée en plein vol qui lorgne du côté de Tim Burton – Arcade Fire reprendra Baby Mine pour son Dumbo (2019).

Et de son côté, (Antichrist Television Blues) tape à l’épaule de Bruce Springsteen – le «Boss» est un autre adulateur du groupe. Là où Neon Bible renoue par endroits avec l’indie lo-fi qui semblait être aux oreilles de certains (et à tort) le foyer d’accueil du groupe, The Suburbs (2010) déploie la grosse artillerie : pas moins de seize morceaux au compteur, huit pochettes selon différentes nuances de couleurs, mais surtout, parfois, des pop songs balourdes à la… Keane.

Et là, «rock FM» s’entend au premier degré. Fastueux pour les uns, indigeste pour les autres, toujours est-il qu’en 2011, face à ses concurrentes Rihanna et Lady Gaga, Arcade Fire remporte le Grammy du meilleur album de l’année.

Les Canadiens ont beau être les chouchous de Pitchfork ou des amis de Spike Jonze – en plus des clips réalisés par ce dernier, ils signent la bande originale du film Her (2013) –, ils peuvent postuler au titre de «nouveaux U2». Vraiment?  Bien sûr : Arcade Fire ont assuré la première partie de cinq concerts de la bande à Bono. Et c’est Daniel Lanois, le producteur de Joshua Tree (1987), qui coproduit Pink Elephant, leur dernier opus.

Win Butler, accusé d’agressions sexuelles

Deux disques plus loin, le «groovy» Reflektor (2013), produit par l’excellent James Murphy (LCD Soundsystem), et Everything Now (2017), à partir duquel l’engouement général descend d’un cran, l’entrée dans les années 2020 annonce un virage problématique, mais pas que sur le plan musical – dans la sphère privée.

En 2022, alors que sort We, Win Butler est accusé d’agressions sexuelles par quatre fans. Les révélations sont faites par Pitchfork, autrement dit le site auquel Arcade Fire doit, à l’origine, une partie de sa renommée. Les quatre victimes avaient, au moment des faits dont elles témoignent, entre 18 et 23 ans, là où le chanteur-guitariste achevait sa trentaine.

La même année, face à ces accusations, Feist cesse alors d’assurer les premières parties de la tournée d’Arcade Fire. Win Butler se défend en parlant de «relations consenties». S’ensuit donc un silence médiatique de deux ans, ce qui a, par extension, des faux airs de fin de groupe, fût-elle symbolique. Il réapparaît à l’occasion des vingt ans de Funeral.

La question, pour certains (ex-?)fans, n’est même pas de savoir sur quel pied danser, mais plutôt de savoir s’il ne faudrait pas plutôt arrêter tout court, de danser. En 2022, en réaction aux allégations, certains revendent leur place de concert. Le média français Télérama pose la question : «Aller à un concert, est-ce tolérer? Applaudir, forcément soutenir?».

Trois ans après, c’est dans ce climat, pour le coup glacial, que sort le dernier album d’Arcade Fire, Pink Elephant. Le groupe est devenu un tel mastodonte qu’il se situe, par définition, sur la ligne opposée de la discrétion. Les articles, positifs ou négatifs, sont publiés

Le groupe a fait un live mercredi dernier au Royal Albert Hall, à Londres. Les accusations laissent des points de suspension. Et la question «Faut-il écouter Pink Elephant?» prend une autre signification.

Pink Elephant, d’Arcade Fire.