En début de semaine, le Premier ministre, Xavier Bettel, annonçait la fin du confinement pour les espaces culturels dès ce lundi. Les musées, concernés par la décision, s’étonnent ou se réjouissent. Voire les deux. Confessions à quelques jours d’une étrange rentrée.
Mi-mars, devant l’inexorable avancée de la pandémie de Covid-19, les musées, comme tant d’autres, ont dû fermer boutique en deux temps trois mouvements. Deux mois plus tard, la reprise s’est annoncée dans un fracas plus modéré, certes, mais dans une même soudaineté. Lundi 4 mars, dans un message reçu de manière confuse, Xavier Bettel annonçait en effet la réouverture des espaces culturels – et non des institutions, nuance –, dont la Bibliothèque nationale, et ce, dès le 11 mai. Soit la semaine prochaine.
Est-ce la lettre ouverte* adressée à la ministre de la Culture, Sam Tanson, cosignée par plusieurs institutions culturelles, qui a accéléré les choses ? Ou – et ça prolonge l’idée – faut-il voir un besoin impérieux de ne pas aggraver une crise déjà majeure en attendant trop longtemps ? Personne ne le sait vraiment, mais une chose est certaine : comme lors du confinement, chacun devra y apporter sa propre réponse, avec ses moyens et ses nouvelles idées nées du malaise sanitaire.
C’est en tout cas l’écho qui se dégage aujourd’hui de certains musées de la capitale, comme au MNHA (musée national d’Histoire et d’Art). «Bien sûr, il faudra respecter les normes de sécurité, mais on dispose d’une grande liberté de manœuvre», confirme son directeur, Michel Polfer, avant de préciser : «Ce sera différent pour tous les musées, qui devront appréhender la situation sur le terrain.»
Un crève-cœur pour le Casino
Il faudra en effet que chacun contrôle le flux du public en fonction de ses espaces, de ses effectifs, et adapte ses expositions en conséquence, dans une distance renforcée (on évite ainsi le virtuel, avec casque, oreillette et joystick, comme les œuvres et écrans tactiles, impliquant trop de manipulations et donc trop de précautions).
Une évidence, et un crève-cœur aussi, pour le Casino qui, depuis quelques années maintenant, mise sur le numérique et ses dérivés. Pour les visiteurs, il y aura toujours l’exposition de Sophie Jung à découvrir. «Il n’y a rien à toucher ni à réorganiser!», se satisfait Kevin Muhlen, le directeur du lieu, amputé toutefois pour ce redémarrage de sa bibliothèque, fermée, et avec un accueil transformé en «zone tampon». «Le rez-de-chaussée devrait être ouvert le 25 mai», anticipe-t-il.
Le MNHN (natur musée) revoit lui aussi ses espaces, mais recevra tout le «matériel» nécessaire à son adaptation mardi seulement. Il ne devrait donc ouvrir que le lendemain. Un choix décidé après une vidéoconférence, cette semaine, qui a confirmé une autre évidence : «Il n’y aura pas d’activités avec les enfants jusqu’à nouvel ordre», confie-t-on sur place, en tout cas «pas avant les vacances d’été». On avoue aussi attendre de voir comment la rentrée des classes se passe, pour mieux se projeter.
« On n’est pas IKEA »
De son côté, la Villa Vauban met aux greniers ses maquettes à toucher, condamne sa salle de déguisements et oublie, comme ses homologues, «les visites guidées de groupes, les conférences, les ateliers», explique Guy Thewes, son directeur, et, par là même, celui du Lëtzebuerg City Museum. Avec gel hydroalcoolique et paroi en plexiglass à l’entrée, il attend le visiteur masqué, bien que ne tablant clairement pas sur une «ruée». «On n’est pas IKEA!», balance-t-il, moqueur. Jeudi, il attendait également l’avis du collège échevinal (qui statuait sur la réouverture), les deux musées étant rattachés à la Ville et non au ministère de la Culture**.
Cependant, plusieurs points communs animent la collectivité, qui s’active en coulisse, jusqu’à la fin de ce week-end, pour rendre cette périlleuse mission possible : d’abord, que la culture, en ces temps incertains, fait sens. Parce que visiter un musée, «ça ouvre le champ des possibilités», selon Kevin Muhlen. «C’est au public de décider dans quel contexte il se sent à l’aise», poursuit-il, reconnaissant, bon joueur, que les gens «préfèreront sûrement un bon bol d’air dans les parcs». Parce que l’art, aussi, est un «besoin basique, comme bricoler ou jardiner», dixit Guy Thewes, qui pense aussi à certains de ses «collaborateurs au chômage technique» depuis deux mois, sûrement «contents de reprendre». Parce que le musée, enfin, est mieux loti que d’autres et se doit de montrer l’exemple : «Pour les théâtres ou les salles de concert, c’est plus compliqué», compatit Michel Polfer.
Malgré tout, tous s’entendent à dire que l’annonce du Premier ministre est tombée de manière abrupte. «Le 18, ça n’aurait pas été plus mal!», souffle même le directeur du MNHA, pourtant «bien préparé» au déconfinement. D’autres sont plus vindicatifs : «On sort juste d’une hibernation et on doit repartir pied au plancher!, soutient Kevin Muhlen. Surtout qu’on entamait seulement, ensemble, un début de discussion, sans voir eu le temps de débattre du pour et du contre. On est mis devant le fait accompli. Mais bon, c’est peut-être mieux comme ça…»
Un retour à la normale… encore long
À la Villa Vauban, on s’étonne aussi, alors que le musée, et d’autres, préparait les Luxembourg Museum Days (16-17 mai)… en digital! «On terminait de mettre en place notre campagne publicitaire pour l’évènement, que l’on décrivait à 100 % virtuel. Forcément, on a été surpris», dit-on sur place.
C’est donc dans un entrain tout mesuré que les musées se mettent en ordre de marche, sachant très bien qu’il faudra des mois pour envisager un retour à la normale, pour peu que cela s’imagine encore. Mais on se console comme on peut : au MNHA, avec des nouveautés (le musée envisage des visites guidées sur tablettes «prochainement»). À la Villa Vauban, avec une exposition (celle consacrée au dessinateur-sculpteur national, décédé en 2016, Charles Kohl, devrait ouvrir le 23 mai – elle était censée le faire le 28 mars). Au Casino, avec une nouvelle vision, positive, du télétravail, bien que les «conférences en ligne avec les 21 personnes de l’équipe, où il faut 30 minutes pour que tout le monde se connecte», soient clairement à proscrire…
Oui, autant prendre les évènements avec «distance», surtout quand on sait, dans un clin d’œil, que l’un des actes manqués de cette fin de saison, concernant les arts plastiques, est la Triennale jeune création, réunion de jeunes artistes de la Grande Région qui ont dû plancher sur la thématique «Brave New Order», choisie en hommage à Aldous Huxley et son Meilleur des mondes. Repoussée à 2021, la manifestation sera sûrement, encore, d’une terrible acuité et donnera l’occasion aux participants, d’ici là, de revoir leurs copies. Il y a tant à redire depuis.
Grégory Cimatti
* Le TNL, les Rotondes, le Casino, la Rockhal, le Mudam, la Philharmonie, Neimënster appellent à faire face, de façon solidaire et concertée, aux défis que le secteur est appelé à rencontrer dans les mois à venir.
** Jeudi, le collège échevinal ne s’était pas encore prononcé.