Inauguré en 2006, le musée d’Art moderne Grand-Duc-Jean (Mudam) est l’oeuvre de Ieoh Ming Pei. Le même qui a réalisé le Grand Louvre. Au Kirchberg, il a poussé son goût de la précision à l’extrême.
On l’a attendu pendant dix-sept ans, le musée d’Art moderne! Dix-sept années marquées par les polémiques, les retards, les procès… « Mais ça valait le coup d’attendre, pour un tel résultat », sourit aujourd’hui Enrico Lunghi, le directeur général du Mudam, le musée d’Art moderne Grand-Duc Jean.
Petit retour en arrière. Nous sommes dans les années 80. Le Luxembourg est l’un des pivots de l’Europe et devient donc une capitale très en vue. Dans le même temps, sa place financière émerge. Problème : la ville ne dispose pas d’équipements culturels à la hauteur de son rang. « Dès 1989, il a donc été décidé de bâtir un musée d’art contemporain , explique Enrico Lunghi. C’est le premier grand projet culturel luxembourgeois, décidé bien avant la Philharmonie ou la Rockhal… »
Une commande
Quelques mois plus tard, le gouvernement luxembourgeois confie le projet à Ieoh Ming Pei. « C’est un cas atypique au Kirchberg , rappelle Marianne Brausch, du fonds Kirchberg. D’habitude, tous les projets font l’objet d’un concours d’architecture mondial. Dans le cas précis, on a passé commande à Pei, sans mise en concurrence. » Il faut dire que Ieoh Ming Pei venait d’achever la pyramide du Louvre. Il était l’architecte-star du moment. « Il est venu à Luxembourg, a visité plusieurs sites possibles et a choisi celui-ci, pour des raisons qui apparaissent évidentes aujourd’hui, mais qui étaient très contestées à l’époque », se souvient Enrico Lunghi.
Ce site, c’est l’enveloppe de l’ancien fort Thüngen, édifié en 1739. Un fort qui entoure une tour d’observation édifiée par Vauban. Ce qui intéressait Pei, c’était bien évidemment le dialogue entre l’architecture moderne et les vestiges du passé. « J’ai le sentiment qu’en construisant à cet endroit, nous pouvons donner vie à ce qui s’y trouve», explique-t-il à l’époque.
Mais les défenseurs du patrimoine luxembourgeois sont vent debout. Leur mobilisation est telle que le projet est finalement gelé entre 1992 et 1995. Ce n’est qu’à l’occasion de l’année 1995, au cours de laquelle Luxembourg était capitale européenne de la culture, qu’il a été relancé, mais dans un format largement réduit.
S’ensuivirent des années de chantier houleuses, avec, notamment, un procès concernant la fourniture des dalles de pierre en Magny doré, la pierre de Bourgogne de couleur miel, extrêmement rare, que Pei a utilisée pour ses plus grandes réalisations. « Pei s’est montré intransigeant. Il voulait cette pierre et pas une autre. Et il a eu raison , explique Enrico Lunghi. Avec une autre pierre, le bâtiment n’aurait pas eu la même allure. »
La signature de Pei
Cette pierre, c’est la signature de Pei. Mais ce n’est pas la seule. Il y a aussi ces formes géométriques, ces pyramides de verre et ces escaliers, dessinés comme de véritables œuvres d’art. « Ce qui est frappant dans ce bâtiment, c’est le souci de la précision de Pei, dit le directeur. Les pierres sont posées dans une géométrie parfaite. Pour l’exposition que nous accueillons actuellement, nous avons suspendu un pendule de Foucault au sommet du grand hall. Il tombait pile au niveau du croisement des dalles au sol. C’est juste parfait. »
Cette pierre, que Pei aime tant, lui a permis de camoufler tous les éléments fonctionnels. « Il n’y a aucune conduite d’eau, de chauffage ou de climatisation apparente. Aucune gaine électrique non plus. Seulement cette pierre, partout, qui habille formidablement l’espace », se réjouit Enrico Lunghi.
Le résultat : une incroyable harmonie, une rare pureté. Et un lien de parenté évident avec le Grand Louvre. « Pei s’est vraiment impliqué personnellement dans ce projet , assure Enrico Lunghi. Sur un volume beaucoup plus réduit qu’au Louvre, il a pu aller jusqu’au bout de son désir de perfection. »
80 000 visiteurs viennent admirer cette œuvre chaque année. Ils viennent pour Pei, bien sûr, mais aussi pour se détende, faire une petite folie à la boutique ou prendre un jus de raisin au Mudam Café, dont on doit la déco à Ronan et Erwan Bouroullec, les célèbres designers. Ils viennent surtout admirer les 600 œuvres dont le musée est propriétaire, présentées dans des expositions temporaires. Car avant d’être un bâtiment, le Mudam est d’abord un musée.
D’ailleurs, depuis le Louvre, Pei s’est presque exclusivement consacré à la construction de lieux dédiés à l’art : «Ma préférence est allée aux musées parce qu’ils résument tout, a-t-il déclaré à l’un de ses biographes. Depuis mon premier projet jusqu’à mon travail le plus récent, le musée n’a cessé de me rappeler en permanence que l’art, l’histoire et l’architecture ne font vraiment qu’un.» Une définition de ce qu’est le Mudam. Parfaite, forcément.
Anthony Villeneuve (Le Républicain lorrain)
« Si je devais faire une comparaison, je dirais que le Louvre est le grand salon majestueux, alors que le Mudam est un petit boudoir, plus cosy et soigné. »
Enrico Lunghi, le directeur du Mudam, compare le Grand Louvre avec son petit cousin luxembourgeois.
90 millions
Le coût de construction du Mudam a dépassé les 90 millions d’euros.
Qui est Ieoh Ming Pei ?
Ieoh Ming Pei est un architecte américain d’origine chinoise, puisqu’il est né à Canton. Il est aujourd’hui âgé de 98 ans. Parmi ses œuvres les plus connues, on trouve la Bank of China de Hong Kong ou encore la bibliothèque John-Fitzgerald- Kennedy à Boston.
Mais c’est dans la construction de musées qu’il brille. Il a d’abord signé l’extension est de la National Gallery of Art de Washington, puis, surtout, le réaménagement du Grand Louvre, avec la célèbre pyramide.
En plus du Mudam, il a aussi signé le Rock and Roll Hall of Fame de Cleveland, le Deutsches Historisches Museum de Berlin ou encore le musée d’Art islamique de Doha. Il a remporté le prix Pritzker, l’équivalent du prix Nobel d’architecture, en 1983.