Dans un pays sans avenir et où, depuis deux mois, les manifestations ont fait plus de 90 morts, la jeunesse s’insurge. Pour appuyer sa colère, une musique : le rap de Nikotina KF, porte-parole du mal-être. Rencontre.
En première ligne de la contestation secouant le Mozambique, le rappeur mozambicain Nikotina KF vient de braver les gaz lacrymogènes et les balles en caoutchouc de la police. Écho de la jeunesse assoiffée de justice sociale de ce pays d’Afrique australe qui manifeste depuis plus de deux mois, l’artiste ne dénonce pas seulement, dans ses textes comme dans la rue, l’élection du 9 octobre «volée» à l’opposition. «La question est sociale, plus que politique», affirme le musicien de 32 ans, boucle d’oreille et t-shirt à l’effigie de l’ex-basketteur américain Dennis Rodman, dans le quartier populaire de Mafalala.
Son visage demeure marqué par la dispersion musclée des manifestants ce matin-là. Au moins 90 personnes ont ainsi trouvé la mort dans les manifestations postélectorales, à l’appel du principal opposant, Venancio Mondlane, qui rejettent des résultats le donnant perdant face au parti Frelimo, régnant en maître depuis près d’un demi-siècle dans l’ex-colonie portugaise affligée par la misère. «Le peuple avait déjà la poudre, Venancio n’a fait qu’allumer la mèche», dit le rappeur, nommé Higino Fumo à l’état civil. «Les gens se rendent compte qu’un groupe possède beaucoup alors que la majorité n’a rien du tout. Ça crée des clivages», poursuit-il.
«Tu veux gagner ta vie, mais tu finis par la perdre quand un flic te tombe dessus»
Riche en ressources minières et gazières, le Mozambique compte près de trois quarts de sa population vivant dans la pauvreté, selon la Banque africaine de développement. Sa jeunesse, davantage touchée par le chômage, représente une part écrasante du pays : environ deux tiers de ses 33 millions d’habitants ont moins de 25 ans, selon les Nations unies. Tout son désespoir, démultiplié depuis les élections qui n’ont pas apporté leur promesse de changement, s’exprime dans la dernière collaboration (avec Djunny Beatz) de Nikotina, Pray for Moz.
Dans le clip, il joue un vendeur de rue survivant en monnayant des miches de pain : «Tu veux gagner ta vie, mais tu finis par la perdre quand un flic te tombe dessus», chante-t-il en portugais dans cette vidéo visionnée plus de 100 000 fois dans la semaine ayant suivi sa publication début décembre. «Je peux mourir pour tout, mais je ne vivrai pas pour rien!», lance-t-il dans un avertissement. «Je ne mobilise pas les jeunes à cause de Venancio», assure le rappeur. «J’utilise mon influence pour soutenir le droit fondamental de manifester qui figure dans la Constitution.» Un point qu’il soulève dans son titre Artigo 51 Uma Aula De Direito («Article 51 Une leçon de droit»).
Je peux mourir pour tout, mais je ne vivrai pas pour rien!
Son message et sa musique inspirent un grand nombre de fans qui l’arrêtent régulièrement dans la rue pour des autographes ou des selfies. «Nous, les jeunes, on manque vraiment de travail», livre l’un d’eux, Zilton Macas, un coiffeur de 29 ans du quartier Maxaquene à Maputo, devenu un haut lieu de contestation. «Ces dix dernières années, le Mozambique s’est transformé en une véritable fosse aux lions, où seules quelques personnes réussissent à survivre», estime-t-il. Quelques mètres plus loin, le diplôme de gestion de l’environnement de Juvencia Bila, 43 ans, ne lui a pas ouvert d’autres portes que celles du fast-food où elle est vendeuse.
Menaces de mort
«En grandissant, on est encouragés par ses parents à étudier pour avoir un meilleur avenir», explique-t-elle, coiffée d’une toque – celle de diplômée de l’université. «Mais ça n’a rien donné!» Figure publique de la contestation, Nikotina a fait l’objet de menaces, y compris de mort : «Non seulement à mon encontre, mais aussi celle de ma famille», affirme-t-il devant une fresque représentant Azagaia, un des rappeurs les plus respectés du pays et même du monde lusophone.
C’est à la suite de son décès d’une crise d’épilepsie il y a près de deux ans que Nikotina s’est décidé à user de sa musique pour des causes sociales. Une marche en la mémoire d’Azagaia, très critique du gouvernement, avait été dispersée à grand renfort de gaz lacrymogène et de balles en caoutchouc déjà. Un de ses titres de 2008 a envahi les rues depuis deux mois : Povo No Poder («Le peuple au pouvoir») est devenu le slogan de la contestation.