Moi, Daniel Blake, Palme d’or à Cannes, arrive en salle mercredi. À 80 ans, la rage de Ken Loach est toujours intacte : le Britannique signe un film coup-de-poing sur la dégringolade d’un chômeur broyé par le système.
Ce monde dans lequel nous vivons se trouve dans une situation dangereuse», car les idées «que nous appelons néolibérales (…) risquent de nous amener à la catastrophe», avait-il lancé en recevant la Palme en mai dernier à Cannes. «Un autre monde est possible et même nécessaire», avait-il plaidé.
Pour ce film, fidèles à leur méthode, le cinéaste engagé – qui a tourné plus d’une trentaine de films – et son scénariste, Paul Laverty, se sont rendus sur le terrain, de l’Écosse aux Midlands, pour recueillir des témoignages. Ceux de travailleurs précaires et de laissés-pour-compte qui doivent parfois choisir entre manger et se chauffer, dans un pays où les banques alimentaires et les soupes populaires sont de plus en plus fréquentées.
«Ça a débuté quand Paul Laverty et moi avons commencé à échanger des récits qu’on entendait autour de nous (…) Des histoires de gens qui étaient piégés par la bureaucratie, et ces histoires devenaient de plus en plus terribles», a raconté Ken Loach. «Nous avons commencé à faire des recherches, nous sommes allés dans différentes villes et différentes parties du pays, et les histoires étaient toujours les mêmes. Donc nous nous sommes dit que nous devrions essayer de raconter ça», a-t-il poursuivi.
C’est de cette matière vivante qu’a surgi leur personnage de Daniel Blake, menuisier de 59 ans, bon ouvrier mais contraint d’arrêter de travailler après une crise cardiaque. Il est magistralement interprété par l’humoriste et comédien Dave Johns, chez qui «tout était authentique», souligne Ken Loach. «Il vient de cette ville, il a le bon âge, il a commencé sa vie professionnelle comme maçon…»
Descente aux enfers
Situé à Newcastle (nord-est de l’Angleterre), ville marquée par une longue tradition de lutte ouvrière, le film suit le parcours kafkaïen de Dan, entre convocations à l’agence pour l’emploi, questionnaire sans fin sur sa santé, musique d’attente stupide qu’il doit écouter sans cesse avant qu’on ne lui réponde. Sans oublier les ateliers de formation au CV, obligatoires sous peine de diminution de son allocation.
La descente aux enfers du héros de Loach connaît quelques rares moments de solidarité avec un jeune voisin noir et, surtout, une jeune mère célibataire et ses deux enfants, broyée elle aussi par le système. Mais la chute de Dan est inéluctable. Pourtant, le «citoyen» ne réclamait que ses droits «ni plus, ni moins» après une vie de travail.
Pour Ken Loach, les agences de recherche d’emploi n’ont pas pour but «d’aider les gens, mais de rendre leur vie plus difficile». Pire, on fixe à leurs conseillers «des objectifs chiffrés de gens à pénaliser», afin de réduire les allocations versées, s’indigne-t-il.
Avec ce 19e film, qui renoue avec sa veine sociale et lui a valu sa deuxième Palme d’or après celle remportée pour The Wind That Shakes the Barley en 2006, Ken Loach reste un homme révolté. Pour le cinéaste de gauche, «le principal problème vient de l’état d’avancée du capitalisme».
«En Occident, on veut des consommateurs, pas des travailleurs, donc c’est une contradiction permanente», ajoute celui pour qui «rien ne changera substantiellement» en Europe «si on ne change pas le modèle économique». «Il y a un sentiment général dans la société que nous ne pouvons pas continuer comme ça», ajoute le réalisateur de Land and Freedom, pour qui les travailleurs britanniques feront les frais du Brexit.
Moi, Daniel Blake, de Ken Loach. Avant-première ce lundi soir, 19 h, à l’Utopia (Luxembourg).