Le philosophe français est de retour avec deux livres : Penser l’islam et Le Miroir aux alouettes. Une fois encore, cette double parution fait débat, et alimente polémiques et controverses.
Finie, bien finie la «diète médiatique» entamée en novembre dernier! Oui, Michel Onfray, 57ans, signe un retour remarqué et remarquable en cet hiver finissant, avec, en deux jours, la parution de deux livres: Penser l’islam et Le Miroir aux alouettes. Principes d’athéisme social.
Précision quand même: Penser l’islam devait être publié en novembre 2015 mais, après les attentats du 13 novembre à Paris, fut annulé puis repoussé à cette mi-mars après une publication en Italie le mois dernier.
Comme à chaque nouveau livre, nouveau texte du philosophe français Michel Onfray, il y a de la controverse dans l’air! Un nouveau livre d’Onfray, ses contradicteurs l’attaquent, et lui il contre-attaque.
Ainsi, dès que son éditeur a annoncé la prochaine parution de Penser l’islam , ses «meilleurs ennemis» ont affûté les dagues. Ce qui, même s’il dit le contraire, semble réjouir le natif de Chambois dans le département de l’Orne : « De toute façon, quoi que je dise ou pas on m’attaque. On m’a dit que je faisais le jeu de Marine Le Pen, des islamistes des islamophobes. Il ne faut pas oublier aussi un truc un peu cynique, c’est que je fais vendre », lance-t-il.
Son précédent livre, Cosmos , paru en mars 2015, a été vendu à près de 150 000 exemplaires (série en cours!), et tant chez Grasset que Plon, les éditeurs qui publient les deux livres de cette fin d’hiver 2016, on se montre confiant sur les ventes à venir.
Sur quelque sujet qu’il écrive, Onfray s’est fait une spécialité : bousculer l’ordre établi. À ce jour, il a publié plus de quatre-vingt ouvrages dont une fameuse Contre-histoire de la philosophie . Se revendiquant hédoniste, il a créé une université populaire à Caen, en Normandie. Se présentant «de gauche», il est l’un des plus virulents critiques de la gauche française au pouvoir et a colonne ouverte dans les médias de droite (comme Le Figaro ou Le Point ).
Tout ce qui est établi ou nuit au peuple, Onfray le dézingue – les philosophes «installés», la psychanalyse et son père fondateur Sigmund Freud, l’existentialisme de Sartre… jusqu’au Premier ministre français, Manuel Valls, qu’il traite de «crétin»!
Dernier des gauchistes ou néoréactionnaire?
Directeur du quotidien parisien Libération et accessoirement le «meilleur ennemi» d’Onfray, Laurent Joffrin définit l’auteur comme «un chevènementiste libertaire, un oiseau sous-marin, un mammifère ovipare…» et ajoute : « Nietzsche philosophait à coups de marteau. Michel Onfray, lui, a résolu de philosopher à coups de t ruelle .»
Directrice d’études de l’École des hautes études en sciences sociales de Paris et spécialiste de la vie intellectuelle, Gisèle Sapiro est catégorique : « Onfray prétend incarner une tradition de gauche libertaire, il verse souvent dans le populisme. » Quant à la psychanalyste Elisabeth Roudinesco, elle a relevé dans Le Crépuscule d’une idole. L’affabulation freudienne (2010) pas moins de six cent erreurs. Réponse d’Onfray : «Elisabeth Roudinesco qui écrit sur Freud, c’est comme Georges Marchais (NDLR : secrétaire général du Parti communiste français de 1972 à 1994) écrivant sur l’URSS, on n’avait pas besoin de lire pour savoir ce qui se trouvait dans son pensum.»
Aujourd’hui, avec Penser l’islam et Le Miroir aux alouettes , Michel Onfray croit toujours en «la possibilité de l’anarchie positive». Mais un tweet malheureux sur les réseaux sociaux à l’automne dernier l’a fait basculer, selon ses «meilleurs ennemis» à droite, du côté des «néoréactionnaires» quand il n’inspire pas Marine Le Pen et son Front national ou quand l’État islamique reprend, dans une vidéo, certains de ses mots. Alors, la question : Onfray a-t-il, à l’insu de son plein gré, changé de camp ou est-il encore et toujours incompris?
Serge Bressan
Penser l’islam : « Matière au pire et au meilleur »
En ouverture, deux citations. L’une, signée Nietzche : «Les eaux de la religion s’écoulent et laissent derrière elles des marécages ou des étangs», l’autre extraite du Coran : «Petit est le nombre de ceux qui réfléchissent.» Un peu plus loin, Michel Onfray annonce : «Il est difficile, ces temps-ci, de penser librement et encore plus en athée.» Pourtant, c’est en cette attitude et posture intellectuelles et philosophiques qu’il a écrit Penser l’islam – dont la parution avait été initialement programmée pour l’automne dernier mais annulée puis repoussée à ce printemps 2016, après les attentats à Paris le 13 novembre 2015.
Connaissant Onfray, rien que le titre de ce nouveau livre pouvait laisser penser à un décodage que la bien-pensance ambiante prendrait pour de la provocation. Au menu de Penser l’islam : des articles (dont certains déjà parus) et un entretien avec la journaliste algérienne Asma Kouar. Le philosophe français, qui a lu le Coran (certains sourient et en doutent), confie : «J’examine les hadiths et croise le tout avec des biographies du Prophète pour montrer qu’il existe dans ce corpus matière au pire et au meilleur : le pire, ce que des minorités agissantes activent par la violence; le meilleur, ce que des majorités silencieuses pratiquent de manière privée.»
S’il y a dans ce texte, dans cette religion des invites à l’amour, à la miséricorde, au refus de la contrainte, il ne craint pas d’affirmer qu’il y en a encore plus qui évoquent la guerre, le massacre des infidèles, l’égorgement. Le rappeler, s’interroge Michel Onfray, est-ce être islamophobe?
Penser l’islam de Michel Onfray. Grasset.
Le Miroir aux alouettes : « La possibilité d’une anarchie positive »
Tout a commencé en Normandie. Chambois, un village d’à peine 450 habitants. Le village natal de Michel Onfray. Oui, c’est là dans ce village dans le département de l’Orne que tout a commencé. Avec une première figure qui ouvre Le Miroir aux alouettes , «une autobiographie politique», selon son auteur, le philosophe Michel Onfray : celle de Pierre Billaux, «le coiffeur pour hommes de mon enfance… Dans son échoppe, passaient les hommes du village. Un peu frustres, un peu taiseux, un peu las sur leurs chaises dans l’attente de leur tour.» Une France d’hier, celle d’un garçon né le 1 er janvier 1959…
Cette France et celle d’aujourd’hui que le philosophe raconte dans ce Miroir aux alouettes , sous-titré : «Principes d’athéisme social». Nombre de ses contempteurs ne manquent pas une occasion pour glisser, fielleusement, qu’Onfray n’aime rien tant que se raconter, qu’il écrit encore et toujours sa biographie – ce qui lui permettrait de l’arranger à sa sauce! Qu’importe, lui qui croit encore en «la possibilité d’une anarchie positive».
Son village normand et aussi ses querelles parisiennes, ses rapports avec Nietzche, Proudhon ou encore de Gaulle. Onfray écrit ce qui, au final, le fait avancer : la défense du peuple, ce peuple qu’il estime trahi et rejeté par cette gauche française «tendance caviar», par ces élus sans foi ni loi ni morale, par ces penseurs au discours aussi creux que dangereux, par ces médias qui, quoi qu’il fasse ou écrive, ont décidé de le prendre pour cible, comme une alouette.
Le Miroir aux alouettes. Principes d’athéisme social , de Michel Onfray. Plon.