Bien que retenu dans son hospice au Luxembourg, le photographe, 83 ans, a les honneurs des Rencontres d’Arles. C’est tout l’univers de ce dompteur d’objets iconoclastes qui s’y dévoile.
Non, on ne verra pas sa grande carcasse et ses yeux rieurs flotter au-dessus du public, comme c’était souvent le cas aux vernissages des Rencontres d’Arles, où il avait ses habitudes. Michel Medinger, 83 ans, n’en a plus la possibilité. Depuis plus d’un an, la maladie (une sorte d’Alzheimer) le ronge, ses jambes l’abandonnent et sa mémoire lui joue des tours. Mais comme le dit l’une de ses filles, «si tu ne peux plus aller dans le monde, alors le monde viendra à toi».
Une formule qui se vérifie du côté de la Chapelle de la Charité dans laquelle Lët’z Arles, association qui veille à l’émancipation de la photographie «made in Luxembourg», a posé ses intentions depuis 2016. Tout ramène en effet à l’artiste autodidacte : un grand portait de lui (signé Romain Girtgen) à l’entrée, une petite vidéo et quelques clichés pris dans son atelier à l’intérieur, et même, pour le vernissage d’hier, un coucou en direct depuis sa résidence clinique à Hamm. Absent, mais tellement présent.
«Dandy et hippie»
Un paradoxe qui correspond bien à l’homme, «dandy et hippie» à la fois, comme le dépeint Florence Reckinger-Taddeï, présidente de Lët’z Arles. Mais aussi à son travail, mêlant beauté et étrangeté, vie et mort, dans des compositions qui savent être douces comme piquantes. Dans le même sens, c’est l’année où le photographe est le plus en retrait du monde qu’il s’en empare et se montre en pleine lumière. À Arles, donc, mais également au pays (au parc de Merl), en gares d’Avignon et de Marseille, sur des timbres collectors, et en 2025, toujours à domicile, à la Villa Vauban et au CNA.
Loin de son atelier de Contern, c’est même à Hamm, au cœur des jardins de l’hospice où il est désormais installé, que l’on retrouve ses œuvres affichées en grand pour trois mois. Lors du vernissage, avec tous ses copains à ses côtés, Michel Medinger, affublé d’une casquette à «l’élégance loufoque», savourait. Un préambule tout aussi réjouissant pour l’équipe de Lët’z Arles, «sauvée d’une tristesse trop lourde» de ne pas partager avec lui l’honneur que lui réserve cet été la ville provençale.
Un christ au bidon d’huile «3-en-1»
Si l’artiste, malgré son état de santé déclinant, a été régulièrement tenu au courant de l’évolution de la scénographie, tout en gardant un œil aiguisé sur son travail («il reconnaissait de suite si c’étaient des tirages originaux ou non», confie Florence Reckinger-Taddeï), la plupart des choix réalisés se sont faits sans lui, sous la bienveillance conjuguée toutefois de ses deux filles (Isabelle et Véronique), occupées à vider la maison familiale. «Elles nous ont confié les clés», poursuit la présidente de Lët’z Arles. «Son absence a permis un travail de fouille» d’où émergeront «des trésors d’une beauté inouïe», que l’on évoque des compositions de fleurs fanées ou ses transferts de polaroïds couleurs. «Il montrait toujours les mêmes photos. Là, c’était émouvant de découvrir» celles cachées dans les cartons et les tiroirs, confie celle qui le connaît depuis plus de vingt ans, notamment par l’entremise de la galerie Clairefontaine, son plus ardent promoteur.
Moins guidée par l’affect, la commissaire Sylvie Meunier (à la suite d’un appel à projet curatorial) découvre l’univers de Michel Medinger lors d’une visite de son atelier : «Sur chaque étagère, du sol au plafond, accrochés sur chacun de ses murs, j’avais sous les yeux une accumulation hétéroclite d’objets étranges, incongrus.»
Un côté «obsessionnel»
Des étagères débordant de coquillages, de jouets en plastique, de légumes séchés et autres sculptures en porcelaine kitsch. Un amas chaotique qui reflète le côté «obsessionnel» de l’homme et qui, il y a encore peu de temps, ne se résignait toujours pas à se rappeler à lui, comme il le confiait en 2018 lors d’une rétrospective au CNA : «Parfois, j’ai l’impression que toute cette panoplie de figurines, d’animaux, de poupées, de squelettes, d’outils est en compétition pour attirer mon regard et pouvoir figurer dans mes photographies. C’est comme s’ils me demandaient « à quand mon tour? »»
Un état d’esprit compris et suivi par Sylvie Meunier, qui va en faire son fil conducteur pour les Rencontres d’Arles. Soit «mettre en relation» les objets et les «tableaux» photographiques, dans des allers-retours logiques puisque les premiers inspirent et animent les seconds. Elle a donc imaginé un dispositif monumental (six mètres de haut) qui reprend l’effet d’accumulation propre aux cabinets de curiosité du XVIe siècle, et masque en partie l’autel baroque de la Chapelle de la Charité.
Devant et dispersés, une trentaine de clichés originaux et une quinzaine de tirages reproduits sur des caissons lumineux, dont un christ tenant entre ses mains un bidon d’huile «3-en-1» du plus bel effet et de circonstance. Après trois premiers jours de visite, la disposition, en bonne «résonance avec le lieu» et offrant une «déambulation libre», semble en tout cas plaire au public. «Ça les amuse!», témoigne la commissaire, satisfaite de l’effet «grinçant et poétique» de ces «multiples propositions».
Un druide à la couronne et au sceptre
On y reconnaît bien sûr la passion de Michel Medinger pour l’art et ses symboles, avec ses références à la peinture classique (Bacon, Mondrian et l’âge d’or néerlandais), à l’école surréaliste et aux vanités du XVIIe siècle. «À première vue, son travail semble juste drôle, beau ou encore provocateur, mais la seconde lecture dévoile ses pensées et ses questionnements philosophiques : il y parle de vie, de mort, d’amour…», soutient Sylvie Meunier.
On y devine aussi, en creux, la patte technique et savante de l’artiste, jongleur de produits chimiques aux noms barbares avec lesquels il donne à ses couleurs ou à son noir et blanc une esthétique rare. On y apprécie enfin son sens de la mise en scène, marionnettiste doux-dingue d’un petit théâtre qui ne doit rien au hasard. «On voit bien le soin et l’exigence qu’il apporte à chacune de ses photos. C’est simple, épuré, mais d’une parfaite maîtrise.» Elle raconte que chez lui, il arrivait de tomber sur des photos tirées «vingt, trente fois». «Il est à la recherche de la perfection», aussi bien dans les lumières que dans la prise de vue.
C’est sur ce double postulat, technique et artistique, que s’articule l’œuvre d’une vie, démarrée à la fin des années 70 et qui, quatre décennies plus tard, trouve enfin son zénith. Mérité pour ce druide à la couronne à cornes et au sceptre, un peu magicien à ses heures (capable de tirer la majesté cachée de cabanes de chantier ou de pompes à essence). Un talent «si singulier» qui, pour Christoph Wiesner, directeur des Rencontres d’Arles, «révèle un pan méconnu de la richesse de la création luxembourgeoise». S’il avait pu, Michel Medinger l’aurait discrètement remercié, mais aujourd’hui, comme le rapporte Florence Reckinger-Taddeï, certaines phrases ne sortent plus de sa bouche, même s’il leur donne «de l’élan». Un dernier paradoxe pour cet ancien coureur de demi-fond (il a participé aux Jeux olympiques de 1964 avec l’équipe nationale d’athlétisme) qui, peut-être par habitude, voit toujours plus loin que la ligne d’arrivée. À Hamm, après les embrassades, il avait ainsi eu cette réflexion en pensant à Arles : «ça continue!»
En bref
55e édition
Jusqu’au 29 septembre
41 expositions
27 lieux
www.rencontres-arles.com
«Michel Medinger – L’ordre des choses»
Chapelle de la Charité (Arles)
www.letzarles.lu
Une ode à la diversité du monde
Les Rencontres de la photographie d’Arles rendent cet été visibles des vies invisibles et célèbrent la diversité du monde. «Aller sous la surface, c’est aussi aller au-delà des clichés», souligne ainsi Christoph Wiesner, directeur de ce rendez-vous, un des plus réputés au monde, qui se tient jusqu’au 29 septembre. Et cette année, un vent venu d’Asie souffle aussi sur le festival, avec cinq expositions sur le Japon, deux en liaison avec la Chine et une avec l’Inde. Parmi celles-ci, «Quelle joie de vous voir» réunira le travail de plus de 20 artistes japonaises des années 1950 à nos jours.
Cette volonté «d’aller chercher des choses qui surprennent» s’illustrera aussi dans une exposition consacrée au graffiti. Une autre, monographique, sera proposée dans l’église des Frères prêcheurs avec l’Espagnole Cristina de Middel qui présente un travail documentaire et onirique sur la traversée migratoire du Mexique vers les États-Unis. Ici, point de chiffres ou de discours jouant sur les peurs, mais des images présentant cette traversée comme une épopée héroïque de femmes et d’hommes courageux vers une nouvelle vie.
Les personnes en marge trouveront aussi refuge dans le travail de la documentariste et portraitiste américaine Mary Ellen Mark (1940-2015), dont le festival accueillera la première rétrospective mondiale à l’Espace Van Gogh, où les laissés-pour-compte côtoieront ses clichés de personnalités célèbres. «J’essaye de faire des photographies qui soient universellement comprises, qui dépassent les frontières culturelles», écrivait-elle.
L’église des Trinitaires mettra, elle, son architecture gothique tardive au service du «Groupe de Cali», une constellation d’artistes née dans les années 1970 et 1980 en Colombie et empruntant des références au gothique et au vampirisme. Enfin, avec «Finir en beauté», Sophie Calle nous conduira dans les soubassements des cryptoportiques (ces galeries où les marchands conservaient leurs stocks à l’époque romaine) pour une inhumation insolite.