Drôle, déjanté, piquant et loin d’être classique, le roman noir que viennent de sortir Serge Basso et Enrico Lunghi parle d’un meurtre à Noël à la Philharmonie, et de fêtes gâchées.
Serge Basso, directeur de la Kulturfabrik (Esch-sur-Alzette) et Enrico Lunghi, ex-directeur du Mudam, viennent de sortir ce qu’ils nomment un «roman noir désaccordé» intitulé Y’a des fausses notes dans la cinquième (éditions Phi). Un livre drôle, fou, qui parle d’un meurtre lors d’un concert à la Philharmonie, donne quelques clés de compréhension du Luxembourg, et où Ludwig van Beethoven vient perturber le réveillon de Noël. En résumé : un livre plein de problèmes….
Vous écrivez à deux. Vous avez un problème avec les écrivains solos ?
Serge Basso : Absolument pas ! On est amis avec Enrico. On se retrouve régulièrement autour d’une pizza et d’une bouteille de vin, et on avance dans l’histoire, chacun notre tour. Lors de notre premier polar ensemble, Les Dessous de la Vierge à l’enfant, on s’était rendu compte que l’automne était très présent. On a donc décidé, avec les mêmes personnages, de tenter Les Quatre Saisons de Wagner, Wagner étant notre personnage principal, un inspecteur, qui bosse avec Verdi et Mozar.
Votre livre est drôle. Un problème avec le « sérieux » ?
Non plus ! Tout ça est un prétexte à l’écriture. Et on aime se moquer de nous-mêmes, interpeller les lecteurs, leur proposer de finir un chapitre quand on n’en a plus l’envie (NDLR : d’où la présence d’une page blanche en plein milieu de l’intrigue)… On a envie qu’ils s’amusent aussi, qu’ils passent un bon moment. Mais attention, avec un vrai travail littéraire derrière !
La religion y est régulièrement et « drôlement » égratignée. Un problème avec la foi ?
Mais non ! C’est mon côté Serge Basso qui ressort. Plutôt que dire : « c’était une soirée triste », que tout le monde peut écrire, je préfère « c’était une soirée aussi triste qu’une partouze chez les Mormons », que tout le monde comprend et qui donne le sourire… Mais oui, j’ai moins envie d’égratigner les athées et les laïques car j’en fais partie !
Vos policiers se laissent aller, ils ne sont pas vraiment bons. Un problème avec la police ?
Toujours pas ! Tous les policiers ne peuvent pas être des Hercule Poirot. Et on aime notre Wagner, humaniste, observateur, mais qui préfère coucher avec sa femme et boire du vin. Après, c’est vrai qu’ils ont tous tendance à ne jamais résoudre les enquêtes. Ce sont les autres, ou les événements, qui le font pour eux.
Vous parodiez les journaux dans votre livre. Un problème avec les médias ?
On trouve marrant de parodier les journaux, en rebaptisant par exemple « Ta Gueule blatte » le Tageblatt. Ce livre est une blague !
Vos inspecteurs ne mangent qu’au kebab. Un problème avec les restaurants ?
On cherchait un truc récurrent. Dans le premier épisode, c’était les cafés. Et ça nous amusait d’envoyer nos flics manger des kebabs en période de Noël.
Alors que l’ouvrage se termine, vous expliquez que, « fidèles à la pensée libertaire qui nous guide et en défenseurs de la méthode Montessori et de la pédagogie Freinet, nous avons laissé notre scénario grandir tout seul ». Un problème avec l’écriture classique, linéaire ?
J’aime beaucoup cette référence. Comment expliquer autrement, aux lecteurs, qu’à un moment donné, ce n’est pas toi qui fais le livre, l’histoire, mais c’est le livre, l’histoire qui te font ? Et que tout ça t’échappe, et va dans des endroits où tu ne voulais pas forcément aller ? Il fallait cette métaphore sur ces pédagogies. Après, c’est sûr qu’on se sent proches de Montessori et de Freinet.
Entretien avec Sébastien Bonetti (Le Républicain Lorrain)
Clins d’œil au Grand-Duché
Dans le roman noir Y’a des fausses notes dans la cinquième, Serge Basso et Enrico Lunghi font quelques clins d’œil au Luxembourg. On y découvre ainsi des routes sans arrêt en travaux. «On dit des choses, bien sûr. Et sur ce sujet, c’est même d’actualité, car il y en a partout, des travaux.»
Le monde de la finance et des notables est également indirectement épinglé. «Autour des policiers vivent en effet des gens qui refont le monde sans se soucier de la population.» Ces «personnalités» conduisent d’énormes voitures, qu’elles laissent tourner, ne se souciant guère du réchauffement climatique. «C’est sûr qu’on ne va pas dire des choses auxquelles on ne croit pas. On est quand même de gauche, écolos…»
Et puis, il y a les écoutes qui sont pratiquées, dans le Luxembourg «imaginaire» des auteurs, à grande échelle. «On a voulu faire une référence à Jean-Claude Juncker (NDLR : au centre d’un scandale qui avait vu la dérive du Service de renseignement de l’État luxembourgeois alors qu’il était Premier ministre, sous forme de fichage et de mises sur écoute d’un nombre important de citoyens)». Enfin, on peut citer les sociétés écrans, qui jouent un rôle dans les magouilles entre les entrepreneurs de leur histoire «fictive». «Et alors ? Il y en a partout, des sociétés écrans ! On a peut-être écrit un livre politique sans s’en rendre compte…»
S.B.