Une pièce forte et un fil rouge : les femmes d’aujourd’hui. « Révolte », écrite par Alice Birch en 2015, fait entendre leurs peurs, obsessions et espoirs. Confidences de Sophie Langevin, qui la reprend pour le Centaure.
Commande de la vénérable Royal Shakespeare Company, la pièce explore frontalement les mécanismes de domination hommes/femmes. Inspirée des écrits féministes – plus particulièrement SCUM Manifesto de Valerie Solanas (1967), Révolte, entre vulgarités bien senties et éclairs cinglants, aborde un sujet sensible. Sophie Langevin s’approprie ce texte à séquences et invite ses contemporaines à s’indigner.
Avec Révolte, entre l’affaire Weinstein, le débat sur l’écriture inclusive et la théorie de la charge mentale, on peut difficilement faire plus d’actualité…
Sophie Langevin : Carrément ! Disons que certaines pièces arrivent à point nommé. Bon, il ne s’agit pas de se réjouir non plus, car c’est bouleversant ce qui se passe, et à plus d’un titre. Oui, dans le milieu du cinéma, comme dans d’autres sphères de pouvoir, la réalité est inacceptable. C’est pourtant ce que vivent certaines actrices et comédiennes.
Comment vous sentez-vous aujourd’hui en tant que femme ?
À mon endroit, je n’ai pas la sensation d’être en danger. Disons que je n’ai pas à me battre pour mon statut, en tant que femme. Oui, je suis heureuse, mais en alerte ! Comme j’ai dû lire, pour ce travail, pas mal de livres traitant du féminisme, chez moi, toutes les alarmes sont au rouge.
Les débats actuels sont-ils positifs, même s’ils révèlent des situations parfois alarmantes ?
Désespérantes, même ! Il faut le dire, le marteler : la misogynie, le machisme, ça ne peut plus durer. Même si je ne suis pas naïve : les réflexes acquis après de longs siècles de patriarcat et de phallocratie ne vont pas se régler du jour au lendemain. Mais j’ai espoir : les lignes bougent, et quelque chose se dénoue, petit à petit. Non, ce n’est pas un feu de paille, et c’est nécessaire, ne serait-ce que pour les prochaines générations. Par exemple, en tant que mère, je vais mettre en garde ma fille différemment. Mais en effet, ça va être long.
On a toutefois entendu des voix divergentes, même de la part de consœurs, en France…
Certes, oui, il faut se méfier du retour du puritanisme, mais on parle ici de liberté. Le droit d’importuner, ça veut dire quoi ça ? Allez dire cela, droit dans les yeux, aux femmes toujours victimes de violence.
Le milieu du théâtre est-il épargné par ce machisme résiduel ?
Le théâtre, plus particulièrement au Luxembourg, laisse de la place aux femmes. C’est un lieu où il n’est pas question de pouvoir, d’argent. Est-ce pour cela qu’il intéresse moins les hommes ?
D’ailleurs, on dit metteur ou metteure en scène ?
Metteure ! La dernière fois, ma fille qui a bientôt dix ans jouait avec une copine. À un moment, elle s’exclame : « Et la vainqueur est… ». Là, je lui demande : « Pourquoi tu ne dis pas vainqueuse ? ». Comme quoi, une femme ne peut jamais gagner (elle rit).
Parlons maintenant de la pièce. Comment êtes-vous tombée sur le texte d’Alice Birch ?
C’est Myriam (NDLR : Muller, directrice du Centaure) qui me l’a proposé. Elle a un don pour trouver la pièce qui me plaît. D’emblée, dès la première lecture, j’ai trouvé ça génial, mais aussi dingue, sans savoir quoi faire avec cela…
Qu’est-ce que vous pouvez en dire ?
D’abord qu’Alice Birch est une grande auteure. Ensuite que ce texte est un ovni, à la structure narrative folle : il n’y a pas de fil conducteur, mais quatre actes aux thématiques différentes. Il n’y a pas forcément de personnages nommés, l’écriture parfois, se chevauche… Bref, c’est une pièce à séquences, peu évidentes à relier d’ailleurs.
De quoi parle-t-elle ?
Elle arrive à aborder un nombre incroyable de sujets, du mariage au travail, de l’image du corps à la pornographie, du viol à la propriété… Elle démonte les lieux de pouvoir, les mécanismes de la domination, et constate, dissèque, les différents rapports homme/femme. En outre, elle propose un travail intéressant sur la langue, qui est elle-même porteuse d’inégalités fortes. C’est aussi, enfin, une grande traversée dans l’histoire du féminisme…
… qui vous a inspirée ?
Totalement. C’est l’occasion de se nourrir de pensées pour comprendre d’où tout cela vient, comme celles, notamment, de Virginia Woolf. J’ai voulu faire comme Alice Birch : m’imprégner de tout ça, afin que cela m’éclaire. On se rappelle ainsi que, selon certains, la femme est sorti des côtes d’Adam et en plus, derrière, elle a fauté ! Quand on relit ça, il y a de quoi tomber de sa chaise… On part quand même de là.
Quelle est, selon vous, l’idée derrière ce texte ? Inviter les femmes à se révolter, à s’indigner ?
L’auteure nous invite surtout à réfléchir à la question des rapports entre les hommes et les femmes, et également à passer à l’acte. Elle ne donne pas, en effet, de solutions, invitant le public, ou le lecteur, à chercher ses propres voies, et à se dire : et on fait quoi maintenant? Car aujourd’hui encore, des femmes meurent sous les coups de leur mari, partout dans le monde, et subissent régulièrement des remarques pénibles. La semaine dernière, encore, je me baladais à Luxembourg avec une amie quand on tombe sur un mec, genre 20 ans, qui lâche : « Putain, vous êtes bonnes ! ». La grande classe.
Conseillerez-vous cette pièce aux hommes ?
Oui, bien évidemment ! Le but n’est pas ici de les éradiquer, mais bien de mener une réflexion en commun. Car c’est ensemble que l’on avance.
Entretien avec Grégory Cimatti