Il est l’un des personnages les plus immoraux de la BD moderne et sème la zizanie partout où il passe depuis vingt ans : Dickie, de Pieter De Poortere, revient dans une nouvelle sélection de petites histoires. Toujours muettes, désopilantes… et cruelles.
Il faut clairement se méfier de ce personnage débonnaire à tête de Playmobil, cousin lointain de Mario Bros, bedonnant et moustachu comme lui. Ne pas se laisser abuser par ses histoires faussement innocentes, aux traits épais à la Hello Kitty et aux jolies couleurs.
Oui, Dickie n’est pas quelqu’un de fréquentable et, malgré ses attraits faciles, n’est vraiment pas destiné aux enfants. Constat d’autant plus sensible qu’il a aujourd’hui sa série animée (visible depuis l’été 2020 sur Adult Swim) et qu’il s’affiche sans retenue sur les murs des musées (comme celui de la BD de Bruxelles).
Voilà vingt ans qu’est sorti le premier album de cet antihéros, né sous l’esprit et la plume de l’agitateur flamand Pieter De Poortere. Chez lui, au plat pays, il s’appelle Boerke (soit «petit paysan») et, à l’origine, il dénonçait les dérives d’une agriculture belge livrée à l’utilisation abusive de pesticides et hormones diverses (en pleine vache folle).
Depuis, il en a fait du chemin, au point de devenir une figure universelle! Toujours sans âge et avec sa grosse tête ronde, il évolue dans une époque indéfinie, pouvant traîner ses mauvaises idées au Moyen Âge, dans l’espace ou un western.
Car qu’il soit agriculteur, pirate, chevalier ou encore astronaute, les choses finissent toujours mal – pour lui et pour ceux qui l’entourent! Il met en effet un zèle tout particulier à appliquer jusqu’au bout ses inspirations primaires, sans s’apercevoir de leur caractère saugrenu ou cruel (voire les deux). Miroir des faiblesses et des défauts de chacun, Dickie est le personnage tragi-comique (sans le moindre scrupule) qu’on adore détester.
Un amour-haine qui remonte au début des années 2000, après de premières publications en France dans le magazine Ferraille, avant que l’éditeur Glénat ne prenne le relais. Ainsi, après Le Petit Dickie Illustré (2012), voici la suite, toujours «trash», de ses folles pérégrinations.
Je ne cherche pas particulièrement à choquer, mais c’est plus drôle quand la fin est tragique!
Après avoir incarné le fils de Hitler, revisité les contes de fées, être parti pour Hollywood ou vers la Lune, revoilà donc Dickie dans une sélection de gags plus ou moins récents (avec des inédits en bonus). La recette imaginée par Pieter De Poortere reste toujours la même : une histoire tenant sur une page, sans paroles, qui débute de façon naïve, avant de prendre une tournure subversive. Le sympathique loser – qui revêt parfois des traits féminins à travers son alter ego Vickie, prostituée sans succès (Hoerke en VO) – conserve son égoïsme, sa bêtise, sa lâcheté et son opportuniste, allant de désastre en désastre.
D’ailleurs, sur la couverture de ce nouveau «testament», on le voit en diable, le regard menaçant sous les flammes. Une manière de rappeler que ce candide n’est que le reflet de nos propres errances, incarnation des aspects les plus douteux de la personnalité humaine. Sur près de 200 pages, son auteur rappelle à nouveau ses dispositions pour se moquer des aveugles, des dictateurs, de la guerre, des dirigeants, des chasseurs, des catholiques… Avec lui, en effet, l’Histoire comme la religion subissent les mêmes outrages de cruauté.
Outre quelques passages savoureux sur l’épidémie de covid et Donald Trump, à la manière d’un Winshluss, Pieter De Poortere piétine tout méticuleusement, savamment. Il écorne ainsi au passage la culture populaire, s’amusant de Kurt Cobain (Nirvana), Marilyn Monroe, les Monty Python, Le Petit Chaperon rouge, le film Orange mécanique, les séries La casa de papel, Orange Is the New Black et The Walking Dead…
Mieux, histoire de varier les plaisirs, il propose, tout au long de l’ouvrage, de petits jeux «malsains» : celui de sept différences sur fond de Friends; celui des «petits chevaux» sur les réfugiés; des échecs sur le passé colonialisme de la Belgique au Congo… Sans oublier ses plagiats d’Où est Charlie?, notamment lors de l’incendie de la cathédrale de Paris.
Petits bijoux d’humour noir (destinés, comme le précise Glénat, à un public averti), les histoires de Dickie ne cherchent pas à «choquer» selon son auteur qui reconnaît, dans un rire, que c’est quand même «plus drôle quand la fin est tragique».
Le Petit Dickie Illustré 2, de Pieter De Poortere. Glénat.
L’histoire
Ne connaissez-vous pas Dickie, qui se balade partout en sabotant tout ce qu’il touche? Son auteur, Pieter De Poortere, n’épargne en tout cas personne : il promène son personnage dans l’imaginaire collectif, mettant en relief les aspects les plus douteux de la personnalité humaine. Dans toute sa naïveté, Dickie prend sur lui les péchés de l’humanité, il les incarne et devient le plus immoral des êtres humains. Sortira-t-on pour autant purifié de la lecture de ses aventures? Pas certain…