Nouveau projet lancé par le Mudam, la plateforme en ligne «Me, Family» se fait le témoin des temps actuels à travers le regard d’artistes du monde entier.
Alors que le mot «reconfinement» est sur toutes les lèvres, le Mudam propose un nouveau projet, une exposition sous la forme d’une plateforme digitale. S’inspirant de l’exposition des photographies d’Edward Steichen au château de Clervaux, «The Family of Man », qu’on ne présente plus, la galerie dématérialisée «Me, Family» présente en libre accès des œuvres qui questionnent elles-mêmes le rôle du multimédia dans le monde et la relation toujours plus envahissante de l’humain à la technologie. Nous vivons tous dans notre propre épisode de Black Mirror.
L’usage de l’écran peut se décliner à l’infini mais son assujettissement de l’humanité est sans appel. Si les artistes sont là pour commenter les temps actuels, la technologie est aussi une façon pour eux d’entrer dans la gueule du dragon : c’est ce que la plateforme du Mudam met en exergue à travers les œuvres de 24 artistes de 14 pays différents.
Sans tabous
On y découvre notamment les photos du compte Instagram de Cindy Sherman, qu’elle poste régulièrement depuis 2017. La photographe new-yorkaise y fait part d’un regard marginal sur les réseaux sociaux – Instagram et Snapchat en particulier – avec des selfies déformés, qui commentent l’hégémonie de l’apparence et du «like» à travers une laideur préfabriquée, qui rappelle les illustrations difformes et psychédéliques de Ralph Steadman.
Dans un autre registre, Black Friday (2016), vidéo de l’Américano-Qatarienne Sophia Al Maria, porte un regard très sombre sur la société de consommation. En symbolisant la consommation de masse par le décor, un centre commercial, réminiscence de l’ancien monde, l’artiste met en scène la mort du consommateur en y faisant passer, en filigrane, la réalité d’un endroit vide, déserté par l’américanisation du monde et l’omniprésence des gigantesques plateformes type Amazon. Il est à noter que la vidéo, filmée au format vertical, comme sur un smartphone, fait ressortir l’idée qu’il s’agit désormais d’un format en vigueur et parfaitement accepté. D’autres œuvres vidéo, comme la très anxiogène Now (2015) du Danois Christian Falsnaes, ou Wong Ping’s Fables (2018/2019) du Hongkongais Wong Ping, abordent sans tabous et avec un impact certain d’autres thèmes que la réalité connectée exacerbe chez l’humain (la soumission, l’acceptation et les limites de l’autorité, les déviances…).
Histoire contemporaine de l’humanité
Du côté des artistes luxembourgeois, Karolina Markiewicz et Pascal Piron sont représentés dans «Me, Family» avec une œuvre riche en symbolisme, Side Effects of Reality (2018). Celle-ci tente de raconter l’humanité par le biais d’un dialogue silencieux entre deux générations, où couve une violence absente mais qui existe dans les «restes de la civilisation» qui en sont les témoins.
Car l’avancée technologique au cœur du projet permet de mettre en lumière toutes les couches d’inégalités entre les êtres humains et les problèmes sociaux, raciaux, politiques, culturels et religieux qui existent. L’Italien Yuri Ancarani (San Vittore, 2018) filme la prison milanaise de San Vittore, qu’il juxtapose aux dessins d’enfants venus visiter leurs parents. L’artiste chinois Cheng Ran explore la question des sociétés multiethniques à travers la question du langage dans Diary of a Madman (2016-2018). De manière plus empirique, l’Américain Darren Bader (Substitutions) déroule la complexité du monde dans l’exposition d’une série d’objets. L’humain, dans son individualité, fait partie du monde qui nous entoure. Il n’y a pas de dichotomie problème/solution : «Me, Family» vise simplement à faire prendre conscience de la réalité du monde.
Valentin Maniglia