Son père le poussait à devenir avocat. Mais Massimo Bottura a finalement fait de sa passion son métier. Son restaurant, l’Osteria Francescana, à Modène, a été sacré mi-juin le meilleur au monde.
Nichée au cœur de Modène (nord), l’Osteria était déjà auréolée de trois étoiles au Michelin, mais la première place au classement des «50 Best» fut «une très forte émotion» pour son chef. Même si, confie-t-il, l’une des principales différences avec la deuxième place est… «le nombre d’interviews» qu’il doit donner.
Murs gris ou bleu-gris, moquette taupe, œuvres d’art, série de photos d’Édith Piaf… L’ambiance est feutrée. A l’entrée, un agent de sécurité plus vrai que nature, du sculpteur Duane Hanson, fait sursauter les visiteurs, apportant une petite touche d’humour.
Le restaurant ne compte que douze tables, accueillant une trentaine de personnes venues pour la plupart découvrir un menu dégustation à 220 euros. Chaque plat raconte une histoire comme «L’anguille qui remonte le fleuve Pô». Un des plats emblématiques de Bottura a longtemps été «Souvenir d’un sandwich à la mortadelle» sur lequel Massimo Bottura a travaillé quatre ans.
«Je m’appuie sur mon passé, mais je le regarde de façon critique et sans nostalgie, parce que je veux porter le meilleur du passé dans le futur», note-t-il, racontant avoir toujours «cherché à regarder le monde de sous la table, avec les yeux d’un enfant qui volait les pâtes que sa grand-mère» préparait.
La cuisine – et cette table sous laquelle il se réfugiait tandis que sa grand-mère le défendait de ses frères avec le rouleau à pâtisserie – est ainsi devenue «inconsciemment» le lieu «le plus sûr dans (sa) vie».
«Obsession et liberté»
À 23 ans, lui qui cuisinait toujours pour sa bande d’amis abandonne les études de droit pour ouvrir la Trattoria del Campazzo, dans la campagne de Modène. Lors de ses jours de repos, il apprend auprès du chef français Georges Cogny, installé à deux heures de là. «Il m’a dit : « suis toujours ton palais parce que tu as un grand palais et ce palais fera connaître Modène au monde entier ».»
Deux ans et un intermède à New York plus tard, c’est un autre Français qui bouleverse son destin, Alain Ducasse. Après avoir mangé à la Trattoria, il lui propose de travailler avec lui à Monaco.
Ducasse a été l’une des personnes «les plus importantes de ma vie», il «m’a appris l’obsession : l’obsession de la qualité des ingrédients, l’obsession des détails» et m’a invité à «tracer ma propre route», souligne Bottura.
De retour à Modène en 1995, il ouvre l’Osteria. Cinq ans plus tard, le pape de la cuisine moléculaire, Ferran Adrià, l’invite à son tour à passer quelques mois à ses côtés, en Espagne. De lui, Bottura dit avoir appris «la liberté», de créer, de penser, le fait «qu’une sardine peut valoir un homard mais que tout dépend de qui l’a entre les mains».
Il réinterprète les recettes traditionnelles
Bottura innove à partir de produits du terroir, réinterprète les recettes traditionnelles, et «comprime en bouchées (ses) passions», qu’il s’agisse de la cuisine de son enfance, de la poésie, de l’art, de la musique, le tout «filtré à travers une pensée contemporaine», pour «créer des émotions».
Mais sa philosophie et sa cuisine ne sont pas immédiatement comprises en Italie. Le succès d’aujourd’hui? «C’est ironique, non? Jusqu’à il y a dix ans, ils voulaient me crucifier sur la place principale de Modène parce que je (…) « détruisais » les recettes de nos grands-mères.»
Des années difficiles pendant lesquelles sa famille a joué un rôle fondamental, notamment sa femme Lara Gilmore qui a pris une place de plus en plus importante au sein de l’Osteria. «Massimo et moi-même avons grandi dans ce restaurant. C’est notre coquille», souligne celle qui a abandonné New York pour lui et l’a laissé partir en Espagne alors qu’elle était enceinte. Pour Bottura, le restaurant est avant tout une équipe, à laquelle Lara apporte «la poésie» et lui «la folie».
Couvert d’étoiles, Bottura entend poursuivre ses projets sociaux, notamment contre le gaspillage alimentaire. Le prochain grand rendez-vous, avec des chefs cuisinant, à son initiative, des restes, aura lieu aux JO de Rio.
Le Quotidien