Vers la fin de sa vie, Martin Luther King regrettait que son fameux rêve se soit transformé en cauchemar.
L’icône de la lutte pacifique pour les droits civiques des Noirs américains était un homme fatigué, au corps prématurément usé par les épreuves, quand il a été abattu d’une balle sur le balcon d’un motel de Memphis, Tennessee. C’était le 4 avril 1968. MLK avait 39 ans.
Il n’a pas été toujours le héros aujourd’hui commémoré par un jour chômé et sculpté dans la pierre d’une statue monumentale au cœur de la capitale des États-Unis.
« Personnage controversé »
« Il est figé dans le temps, pas comme l’homme qu’il était en 1968 mais comme celui d’août 1963, celui du discours Je fais le rêve », explique David Farber, un professeur d’histoire à l’université du Kansas. « Il est aisé d’oublier à quel point King était un personnage controversé dans les années 1960. »
Et comment en serait-il autrement ? « Il était devenu un personnage radical aux États-Unis, un bruyant adversaire de la politique étrangère américaine, réclamant la justice pour tous les pauvres, pas seulement les Afro-américains », insiste David Farber.
Les années soixante aux États-Unis ne sont pas seulement marquées par la lutte pour les droits civiques mais aussi par l’engagement d’un contingent de plus en plus nombreux dans la guerre du Vietnam. Une guerre impopulaire qui divise le pays.
« King s’est mis à dos tout le mouvement des droits civiques, le gouvernement et une bonne partie de l’appareil politique quand il a publiquement condamné la guerre du Vietnam », rappelle Henry Louis Taylor Jr., le directeur du centre de recherche sur l’histoire urbaine de l’Université de Buffalo.
« Être opposé à la guerre était à ce moment-là perçu comme un épiphénomène », souligne David Garrow, l’auteur de Bearing the Cross : Martin Luther King Jr, and the Southern Christian Leadership Conference, et d’insister : « ce n’est pas populaire comme ce le sera en 1972 par exemple ».
Du rêve au cauchemar
Le docteur King est constamment harcelé par la police fédérale et son choix de la non-violence pour mener la lutte déplaît aux jeunes Noirs impatients de voir du changement et parfois d’en découdre.
« Durant les douze derniers mois de sa vie, King est complètement épuisé, totalement pessimiste sur l’avenir et complètement déprimé », raconte David Garrow. « Il répète plus d’une douzaine de fois, durant les deux dernières années de sa vie : le rêve que j’ai fait à Washington en 1963, s’est transformé en cauchemar », ajoute l’auteur.
Cinquante ans après sa mort, le rêve de Martin Luther King d’une société dont tous les membres seraient assis « à la table de la fraternité » reste largement cela : un rêve. Jason Sokol, un professeur d’histoire de l’université du New Hampshire, reconnaît que des progrès ont été faits mais souligne que les inégalités subsistent, « en particulier quand on se penche sur la pauvreté des Noirs, le taux d’incarcération des Noirs et les problèmes de violences policières ».
Un rêve d’autant plus inachevé, rappelle Henry Louis Taylor, que MLK voyait au-delà des seuls droits civiques et pensait droits de l’homme. « Le rêve de King embrassait un autre monde possible basé sur la justice économique, sociale, politique et raciale. »
De ce point de vue, « on s’aperçoit que nous n’avons pas fait beaucoup de progrès ces 50 dernières années dans la réalisation de ce rêve », juge le professeur Taylor. « Si les attitudes des individus ont changé sur les questions raciales, le racisme qui se trouve dans le tissu des institutions et des structures des États-Unis n’a, lui, pas vraiment changé. »
Legs bien vivant
Si son rêve est inachevé, le legs du révérend est, lui, bien vivant. En 1964, dans son discours de réception du prix Nobel de la Paix, Martin Luther King avait affirmé que le mouvement des droits civiques était le plus grand mouvement de libération de l’Histoire, rappelle Taylor Branch, auteur d’une trilogie consacrée à MLK, America in the King Years.
« Il parlait du monde entier, pas seulement des Noirs » et « de bien des manières, il a réussi au-delà de ses rêves les plus fous », affirme Taylor Branch, qui cite le mariage pour tous, Barack Obama et les droits des femmes.
Plus récemment encore, l’héritage de MLK s’est incarné dans le mouvement « Black Lives Matter », né du ras-le-bol de toute une communauté face aux violences policières ou dans le mouvement « Marchons pour nos vies », créé par quelques étudiants après une énième fusillade dans un lycée de Floride et qui a rassemblé des centaines de milliers de manifestants à Washington et dans le reste du pays.
Parmi eux, Yolanda Renee, 9 ans et petite-fille de MLK (photo). Comme son grand-père, elle a su galvaniser la foule en s’inspirant de ses mots les plus célèbres : « Je fais un rêve dans lequel trop c’est trop. Il ne devrait pas y avoir d’armes dans ce monde ».
Le Quotidien/AFP