Des foules qui piétinent dans le froid et les effluves de vin chaud : les marchés de Noël font le plein cette année en Alsace, où l’afflux de touristes venus de loin pousse villes et villages au bord de la saturation.
Embouteillages, transports publics bondés… De Strasbourg à Colmar en passant par les villages typiques de la Route des vins, des millions de visiteurs écument la région en nombre record : celui de 2,8 millions, inscrit l’an dernier par la capitale alsacienne, est en passe d’être battu.
Une aubaine pour le commerce mais pas toujours pour les habitants, ni pour les touristes, qui le week-end doivent se frayer un chemin à la vitesse de l’escargot entre les 300 chalets répartis dans l’hypercentre strasbourgeois.
«C’est oppressant, surtout avec trois enfants», reconnaît ainsi Ambre Flanagan, une touriste américaine âgée de 38 ans, malgré tout ravie de son séjour à Strasbourg, où le marché de Noël se déroule, comme chaque année, du 24 novembre au 24 décembre.
C’est autour de la cathédrale que l’affluence est particulièrement dense le samedi, lorsque le flux des consommateurs s’ajoute à celui des touristes. Au point de faire redouter des «mouvements de foule» à Josiane Chevalier, la préfète du Bas-Rhin.
«On atteint très clairement certaines limites», dit-elle. Dans une ville marquée par un attentat en 2018, qui avait fait cinq morts, les forces de l’ordre, omniprésentes, ont pour mission d’intervenir en moins d’une minute en cas d’urgence. La préfète a obtenu que des drones puissent surveiller la manifestation. Face à l’affluence, les autorités font strictement appliquer l’interdiction des musiciens ou des portraitistes de rue, qui créent des attroupements potentiellement dangereux.
Le bilan de la saison ne sera connu qu’en janvier, «mais on sait déjà qu’on est sur une année historique en termes de fréquentation», observe Guillaume Libsig, adjoint à la maire écologiste chargé du marché de Noël. Un «succès monstre» parce que les marchés de Noël sont selon lui «une réponse parfaite à ce qu’on a vécu en 2023 : des évènements gratuits, conviviaux, rassurants et qui ramènent aussi un peu de nostalgie et un peu de magie».
Mais face à la saturation des transports et des parkings, «il ne faudrait pas que ça augmente encore plus», commente-t-il. «On atteint, je pense, les limites de l’exercice. L’espace public n’est pas extensible.» La patience de certains habitants non plus.
«C’est de pire en pire!», râle Nicole Nussbaum, présidente de Calme Gutenberg, une association de quartier. «C’est tout notre quotidien qui est perturbé : il faut faire les courses le matin avant les touristes. Et le week-end, c’est infernal : c’est à la nage qu’il faut regagner son domicile!»
Côté commerce, les chiffres d’affaires sont attendus en hausse de 15 à 20 % par rapport à l’an dernier sur les deux départements alsaciens, note Nathalie Kaltenbach, présidente d’Alsace Destination Tourisme. Mais même les commerçants tirent la langue. «Honnêtement, moi, à 21 h, je suis content de fermer parce qu’on est trop fatigués. C’est trop de monde concentré d’un coup», confie Sassi Ben Mourdi, qui vend des saucisses et du vin chaud au marché de Strasbourg, une tradition familiale depuis… 1946.
«Il y a tellement de monde que c’est plus tellement agréable. Les gens font la queue parfois pendant une heure et demie pour avoir une crêpe ou un vin chaud», se désole Barbara Jaeckel, commerçante âgée de 27 ans. Le week-end, «on voit les gens dans les allées qui peuvent même plus marcher, tout le monde est arrêté. C’est bien pour l’économie, par contre j’aimerais pas être à leur place…».
Pour ceux que la taille des marchés à Strasbourg et Colmar effraye, reste la possibilité de se replier sur des village typiques comme Ribeauvillé ou Riquewihr. Mais faute d’accès en train, ces ravissants patelins sont envahis de voitures et les visiteurs doivent parfois marcher des kilomètres avant de rejoindre leur destination. «On arrive peut-être à un point de saturation», reconnaît Nathalie Kaltenbach, également maire de la petite ville de Barr (Bas-Rhin), qui confie avoir «eu peur» face à la foule du marché organisé dans sa commune.
«Il ne faudrait pas qu’on arrive à une déception : il faut que touristes et habitants soient heureux» de venir au marché. Au pied du sapin géant de Strasbourg, certains relativisent tout de même : «Il y a beaucoup de monde pour l’Europe, mais moi je viens de Chine alors ça va!», déclare Li Lusha, une jeune Chinoise qui fait ses études à Montpellier.