Cent ans jour pour jour après sa mort, Marcel Proust demeure un des plus grands écrivains français. En douze lettres, comme celles de ses prénom et nom, hommage.
M comme Marcel. Né le 10 juillet 1871 à Paris dans une famille aisée et cultivée (un père professeur de médecine), il est un enfant de santé fragile, souffrant d’asthme. Jeune homme, il est réputé «dilettante mondain», voyage en Italie et se lance dans l’écriture. Il publie en 1896 un recueil de poèmes et nouvelles, Les Plaisirs et les jours. À partir de 1913, il commence la publication d’À la recherche du temps perdu et reçoit en 1919 le prix Goncourt pour À l’ombre des jeunes filles en fleurs. Il meurt le 18 novembre 1922 à Paris, emporté par une bronchite mal soignée.
A comme À la recherche du temps perdu. Une œuvre-cathédrale en sept titres, publiés entre 1913 et 1927 (les trois derniers à titre posthume) et qui commencent, selon nombre de critiques, le roman moderne. Interrogation sur l’existence du temps, sur sa relativité et sur l’incapacité à le saisir au présent, l’ensemble tente de peindre la vie en mouvement avec des portraits uniques et des lieux recréés. Une somme pour des réflexions sur l’amour et la jalousie, pour une image de la vie, du vide de l’existence… Et en ouverture, une phrase éternelle : «Longtemps, je me suis couché de bonne heure.»
R comme réfraction. Des écrivains étrangers ont lu Marcel Proust. On retrouve leurs écrits dans le recueil Proust-Monde, parmi lesquels ceux de Rainer Maria Rilke, Milan Kundera, Joseph Conrad, Alejo Carpentier, Witold Gombrowicz, Virginia Woolf… ou encore Vladimir Nabokov, qui affirme : «Proust est un prisme. Son seul objet est de réfracter, et, par réfraction, de recréer rétrospectivement un monde. Ce monde lui-même, les habitants de ce monde n’ont aucune importance historique ou sociale.»
C comme catleya. En botanique, c’est une orchidée épiphyte, originaire d’Amérique tropicale, et dont l’espèce la plus connue est très recherchée pour l’élégance de ses fleurs mauves à grand labelle en cornet onduleux. Dans Du côté de chez Swann, Odette «tenait à la main un bouquet de catleyas et Swann vit, sous sa fanchon de dentelle, qu’elle avait dans les cheveux des fleurs de cette même orchidée attachées à une aigrette en plumes de cygne». Les deux vont «faire catleya», au sens de «faire l’amour»…
E comme exposition. Direction la Bibliothèque nationale de France (BnF) pour l’expo «Marcel Proust, la fabrique de l’œuvre» (jusqu’au 22 janvier 2023). Pensée comme une traversée d’À la recherche du temps perdu et conduisant le visiteur à travers les étapes de la composition du roman, elle raconte la fabrique d’un chef-d’œuvre de la littérature à travers près de 370 documents : manuscrits, tableaux, photographies, objets, costumes…
L comme lutte de classes. Annie Ernaux est catégorique : «Il y a chez Proust une dimension sociale qui m’est insupportable.» Homme bien né, l’écrivain a lu et relu La Bruyère et Labiche, et peint à foison l’aristocratie, la bourgeoisie, la domesticité et même des garçons bouchers! Pour lui, pas de doute, aucune classe sociale n’a le monopole du mépris. Selon Proust, toute classe a propension à dédaigner, à mépriser son inférieur. Parce qu’il y a toujours quelqu’un à snober. Ou qui vous snobera…
P comme phrase. Une mauvaise réputation : Proust est illisible. Parce qu’il serait le champion des phrases longues. Pas tout à fait faux : dans À la recherche du temps perdu, une phrase record avec 931 mots. Des chercheurs du CNRS ont relevé une moyenne de 35 mots par phrase, ce qui place Proust devant Madame de Sévigné (32), Chateaubriand (28) ou Stendhal (24), mais loin derrière Huysmans, avec sa moyenne de 51 mots par phrase dans À rebours (1884)! Au crédit de Proust : c’est toujours le narrateur qui parle, et il explique en détail ce qu’il narre.
R comme religion. En 1896, Marcel Proust confie : «Si je suis catholique comme mon père et mon frère, par contre ma mère est juive.» Une enfance chrétienne, mais l’affaire Dreyfus éveille en lui la filiation juive. Souvent, il évoquera ses «deux côtés», qui entretiendront un conflit tant philosophique que religieux et le porteront à l’esprit critique et à la nuance. Ainsi, en 1904, l’écrivain s’érigera contre la politique anticléricale qui risque de vider les églises de leur «vie intégrale».
O comme Oriane de Guermantes. Dans la comédie humaine proustienne, il y a Swann le dandy roux, Françoise la domestique, Odette la dame en rose ou encore Madame Verdurin, surnommée «la Patronne». Il y a aussi Oriane de Guermantes, un oiseau de paradis qui règne sur le Tout-Paris. Duchesse qui tient salon et inspirée par les élégantes titrées de l’époque, dont la comtesse Greffulhe, elle affirme placer l’intelligence au-dessus de tout et s’occupe de littérature, de théâtre et surtout des actrices… Présente dans toute l’œuvre de l’écrivain, celui-ci la place au centre d’un roman, Le Côté de Guermantes.
U comme ultime. Stefan Zweig avait raconté les derniers moments du romancier dans Le Destin tragique de Marcel Proust (1925) : «Sur la table de chevet du défunt, souillée de potions renversées, on retrouve, sur un feuillet à peine lisible, les derniers mots griffonnés de sa main déjà à moitié refroidie. Ce sont des notes pour un prochain volume, lequel aurait requis plusieurs années, alors même qu’il ne lui restait que quelques minutes. Voilà comment il soufflette la Faucheuse, geste ultime et sublime de l’artiste qui triomphe de l’angoisse de la mort en la scrutant à son insu.»
S comme salons. Une polémique parmi quelques autres : Marcel Proust a-t-il été ou non un habitué des salons mondains de son époque? Les versions divergent, au prétexte que l’écrivain n’aurait pas eu les parrainages pour pénétrer les cercles privés parisiens. Dans ses romans, il aurait donc décrit une société entièrement fictive. Mais des spécialistes de son œuvre pointent de nombreux personnages ressemblant fort à des personnes réelles. À ce jour, le débat reste entier…
T comme Tadié. Écrivain, biographe et professeur émérite à la Sorbonne, Jean-Yves Tadié, 86 ans, est considéré comme le meilleur spécialiste de l’œuvre proustienne. Il a dirigé l’édition Pléiade d’À la recherche du temps perdu, en 1987, et publié en 1996 un définitif Marcel Proust, biographie en deux volumes. Proust, pour Tadié, «c’est un homme tout à fait touchant et héroïque, par certains côtés, et une œuvre géniale qui ne lui ressemble d’une certaine façon pas du tout».
Si seulment tous les francophones avaient le courage de lire la totalité de la Recherche, ils seraient plus riches intellectuellment et hummainement.