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Mamoru Hosoda : « l’animation japonaise a un problème avec les femmes »


Sans le nommer, Mamoru Hosoda égratigne le grand maître de l'animation Hayao Miyazaki. (photo AFP)

Cannes : le réalisateur japonais Mamoru Hosoda est souvent comparé à son grand devancier, le légendaire maître de l’animation Hayao Miyazaki mais le rapprochement s’arrête là, tant Mamoru Hosoda est en désaccord avec l’image « sacralisée » des femmes véhiculée par ses aînés.

À vouloir en faire « des parangons de vertus ou d’innocence », on ne rend pas service aux jeunes filles d’aujourd’hui, pas plus que la diabolisation d’internet n’aide la jeunesse, juge-t-il dans un entretien à l’occasion de la présentation à Cannes de son dernier film, Belle, remake ultra-contemporain et progressiste du classique du conte jeunesse La Belle et la bête.

« Pour la jeune génération, internet existait avait qu’ils naissent et est donc inséparable de leur monde, il faut l’accepter et apprendre à mieux l’utiliser », dit-il, reprochant à beaucoup de cinéastes, y compris à la star d’Hollywood Steven Spielberg dans Ready Player One (2018), de s’attacher aux travers d’internet au lieu de montrer aux jeunes comment prendre le contrôle de leur destin. « On passe leur temps à leur dire comme c’est mal et dangereux », déplore le réalisateur de 53 ans, nommé aux Oscar en 2008 pour Miraï, ma petite soeur. Avec Belle, présenté hors compétition sur la Croisette, il prend le contrepied.

L’histoire a pour décor une petite ville rurale du Japon d’aujourd’hui. Une adolescente timide et brisée par la mort accidentelle de sa mère quand elle était petite, Suzu, s’invente une double vie sur internet où elle retrouve le goût de chanter et se surprend à devenir l’égérie musicale de millions de jeunes gens.

La métamorphose est complète. Suzu devient Belle et l’uniforme de la petite collégienne triste laisse place à un look flamboyant de diva à la voix magnétique dans ce monde numérique virtuel supporté par une application ironiquement baptisée « U », qui signifie « Toi » en anglais alors que le site propose justement de transformer son identité. À mesure qu’elle additionne les fans, Suzu essuie un déferlement de haine en ligne. Au lieu de se laisser abattre, elle va contre toute attente utiliser son avatar pour y résister.

Revanche de Belle sur la Bête 

« Les relations humaines peuvent être complexes et extrêmement douloureuses pour les jeunes gens. Je voulais montrer que ce monde virtuel, pour dur et terrible qu’il peut être, peut aussi être positif », souligne Mamoru Hosoda. Dans ce récit, servi par une explosion de couleurs, des chansons et des scènes d’action, Suzu et sa copine férue d’informatique n’ont rien à voir avec l’éternel féminin peuplant habituellement l’animation japonaise.

« Il suffit de regarder les films d’animation japonais pour voir combien les jeunes femmes sont sous-estimées et pas prises au sérieux par la société », critique-t-il sans ambages. Il ajoute : « Ça m’agace vraiment de voir ces personnages de jeunes femmes traités comme quelque chose de sacré et sans lien avec la réalité de ce qu’elles sont. » Sans le nommer il égratigne le grand maître de l’animation Hayao Miyazaki dont les films sont devenus des classiques jeunesse et qui prend systématiquement des jeunes femmes un peu éthérées pour héroïnes.

« Cette vénération des jeunes femmes me dérange vraiment, très peu pour moi ! », insiste-t-il, soucieux de permettre à ses personnages féminins d’échapper à « l’oppression de devoir être comme tout le monde ». Élevé lui-même par une mère seule, à une époque où la famille monoparentale était rare au Japon, le réalisateur enracine volontiers ses films au cœur des réalités sociales. Les Enfants loups, Ame & Yuki (2012) forçait le trait avec une héroïne maternelle élevant seule ses petits aux marges de la société.

Avouant sa préférence pour des histoires « montrant le bien et le mal chez les gens dans une tension qui font qu’ils sont des êtres humains », il explique avoir beaucoup réfléchi au personnage de la Belle. « Dans l’histoire originale », dit-il, « la Bête est le personnage le plus intéressant : il est affreux, violent mais sensible et vulnérable. Belle sonne creux à côté, tout tourne autour de son physique et j’ai voulu rendre son personnage plus complexe et plus riche », dit-il.

AFP/LQ